03 JUIN 2017

Libération - Philippe Azoury: Versailles

" Damien, Nina, les héros de Versailles sont les rois et reines d'un bois en marge du château qui fut le symbole encombrant d'un état de droit divin. Deux siècles plus loin, la façon, déçue, amère, dont eux n'attendent plus rien de nous, et surtout pas de la pitié, désigne une impasse : celle de la République. La route, la zone, les centres, les gnons, les odeurs, la fièvre, les enfants placés un peu partout. Pierre Schoeller a décidé, pour son premier long (...) d'en faire la matière d'une fiction qui résiste au naturalisme, et qui pourrait même tenir du conte. Un drôle de conte contemporain d'une époque où l'on envoie en centre ceux qui n'ont que la fierté de la marge, une drôle d'histoire dysfonctionnelle, façon crèche vivante, avec une femme (à la rue), un enfant (tout petit) et un homme (des bois). Une légende d'aujourd'hui, où celui qui, en plan large, passait pour l'ogre, pourrait se transformer, si on le regarde un peu en gros plan, à quelque chose comme une Mère l'Oie. La femme sort du champ, l'homme adopte l'enfant, le reconnaît, sinon se reconnaît en lui (...) il y a une volonté d'intensité et surtout un très bon directeur d'acteur. Et derrière celui-ci, il y a un acteur, juste le plus grand en France : Guillaume Depardieu. Ce qu'il fait là, personne aujourd'hui, pas même aux Etats-Unis, n'en est capable. Il joue sur une appropriation totalement personnelle d'un rôle manifestement écrit pour lui, mais qu'il décide de protéger à sa façon. Par exemple, le scénario lui dit bonté, lui entend colère. On lui dit dignité et il vous regarde avec l'air de dire que ça suffit comme ça l'obscénité. Il est le refus incarné, ce qui l'autorise, s'il le veut, à donner tout ce qu'il possède. «Le cinéma nous rend-il meilleurs ?» se demandait le philosophe Stanley Cavell. Quand on reçoit en pleine face une telle façon de vivre les choses, la réponse tombe d'elle-même."

" Damien, Nina, les héros de Versailles sont les rois et reines d'un bois en marge du château qui fut le symbole encombrant d'un état de droit divin. Deux siècles plus loin, la façon, déçue, amère, dont eux n'attendent plus rien de nous, et surtout pas de la pitié, désigne une impasse : celle de la République. La route, la zone, les centres, les gnons, les odeurs, la fièvre, les enfants placés un peu partout. Pierre Schoeller a décidé, pour son premier long (...) d'en faire la matière d'une fiction qui résiste au naturalisme, et qui pourrait même tenir du conte.

Un drôle de conte contemporain d'une époque où l'on envoie en centre ceux qui n'ont que la fierté de la marge, une drôle d'histoire dysfonctionnelle, façon crèche vivante, avec une femme (à la rue), un enfant (tout petit) et un homme (des bois). Une légende d'aujourd'hui, où celui qui, en plan large, passait pour l'ogre, pourrait se transformer, si on le regarde un peu en gros plan, à quelque chose comme une Mère l'Oie. La femme sort du champ, l'homme adopte l'enfant, le reconnaît, sinon se reconnaît en lui (...)

il y a une volonté d'intensité et surtout un très bon directeur d'acteur. Et derrière celui-ci, il y a un acteur, juste le plus grand en France : Guillaume Depardieu. Ce qu'il fait là, personne aujourd'hui, pas même aux Etats-Unis, n'en est capable. Il joue sur une appropriation totalement personnelle d'un rôle manifestement écrit pour lui, mais qu'il décide de protéger à sa façon. Par exemple, le scénario lui dit bonté, lui entend colère. On lui dit dignité et il vous regarde avec l'air de dire que ça suffit comme ça l'obscénité. Il est le refus incarné, ce qui l'autorise, s'il le veut, à donner tout ce qu'il possède. «Le cinéma nous rend-il meilleurs ?» se demandait le philosophe Stanley Cavell. Quand on reçoit en pleine face une telle façon de vivre les choses, la réponse tombe d'elle-même."