28 FÉVRIER 2011

Mon enfance durant la guerre du Liban : l'instinct de survie

"Quand je pense rétrospectivement à mon enfance, durant la guerre du Liban, je me rends compte que les bons souvenirs l'ont emporté sur les mauvais. Peut-être parce que cette guerre m'a aussi offert une liberté sans limites", explique le réalisateur Ziad Doueiri.

"Quand je pense rétrospectivement à mon enfance, durant la guerre du Liban, je me rends compte que les bons souvenirs l'ont emporté sur les mauvais. Pour ma part, je n'ai pas ressenti cette guerre aussi tragiquement qu'on pourrait le penser.

Cette guerre m'a offert une liberté sans limites. Il n'y avait plus de loi imposée, que ce soit dans le pays, ou même dans ma propre famille; tout le système s'effondrait. Très jeune, j'ai compris les règles du jeu et les avantages de cette situation. Pendant cette période de l'adolescence - qui correspondait au début de la guerre - j'ai pu explorer tout ce que la vie pouvait m'apporter : la découverte de ma sexualité, l'amour, l'amitié... et plus tard le concept de la peur, de la haine et de l'injustice.

Je dis le "concept" de la peur car pendant les premières années de la guerre civile, malgré l'angoisse que je devinais chez mes parents, j'étais incapable de la ressentir moi-même : je ne suis pas né avec la peur, je l’ai acquise. Ce n'est que plus tard que j'ai compris que la guerre s'associait à la mort, et la mort à la peur. L'instinct de survie est plus fort chez les enfants que chez les adultes. Sans doute parce que les enfants s'adaptent mieux et plus rapidement aux évènements exceptionnels tels que la guerre. Par delà ses horreurs, elle renseigne, éduque; l'individu, enfant ou adulte, raisonne sur sa propre existence et sur le respect des valeurs humaines les plus fondamentales.

Si la guerre civile est un cas très spécial - il ne s'agit plus d'une nation contre une autre, mais d'un peuple contre lui-même, le sentiment patriotique et la solidarité nationale s'en trouvant considérablement réduits - un pays qui sort d'un conflit pareil fait preuve d'un dynamisme économique, culturel et psychologique hors du commun.

Mais le propos de West Beyrouth ne peut se réduire à exposer des concepts philosophiques ou moraux. Les personnages du film et leurs caractères sont simples : Tarek, Omar et May sont des enfants comme les autres; ils sont curieux, rusés, énergiques. Ils subissent des épreuves qu'ils doivent surmonter : la guerre n'est qu'un épisode de leur vie, même si elle les rend précocement matures.

L'instabilité et la complexité du Moyen-Orient, si elles exacerbent ces tendances, rendent par le fait cette région riche au niveau culturel et humain. De mon point de vue, le Moyen-Orient connaît une culture chaotique, inconstante, voire archaïque. Le respect de la Loi, tel qu'on la définit en Occident, ne trouve pas son équivalent au Moyen-Orient. Je dirais que nous vivons une culture "extravertie". Un mouvement de joie n'est jamais contenu, il explose. Le chagrin n'est jamais silencieux, ils se propage. C'est pourquoi le style de West Beyrouth s'appuie sur le réalisme. Ce qu'une personne exprime ouvertement ne laisse pas place à l'interprétation : ce que nous voyons est tout ce qu'il y a à voir."

Ziad Doueiri