04 MAI 2021

Napoléon, destinée et mort - Récit impérial

Persuadé d’avoir un destin unique, Napoléon s’est employé à forger sa légende jusqu’à la fin, quitte à jouer avec la mort. Entretien avec Mathieu Schwartz, réalisateur d’un documentaire revisitant avec inventivité son parcours et sa psyché.

Media

Jusqu’à quel point Napoléon a-t-il côtoyé la mort ?

Mathieu Schwartz : Elle le frôle au moins à six reprises. En 1796, il décide de traverser le pont d’Arcole sous le feu ennemi, mais évite les balles et les obus. Plus tard, il survit à un attentat d’une violence inouïe, puis à une tentative d’assassinat au couteau. Lorsqu’il abdique, le poison qu’il ingère ne le tue pas… Tous ces éléments le confortent dans l’idée qu’il est un être à part.

 

Se comporte-t-il pour autant de façon déraisonnable ?

Mathieu Schwartz : Non. À aucun moment Napoléon ne se jette dans le vide sans parachute. Parfois, il se retrouve dos au mur, alors il tente un pari avec la mort. C’est ainsi qu’il raisonne. Lors des Cent-Jours [le retour de Napoléon en 1815 après son exil, NDLR], l’empereur déchu fait face à l’armée royaliste. Il se plante devant les soldats puis les exhorte à le rejoindre ou à le tuer. Même si un capitaine ordonne de faire feu, Napoléon se doute que personne n’osera appuyer sur la détente. Tout cela reste réfléchi, bien qu’il ait du courage… et de la chance. Par ailleurs, à l’époque, engager sa vie n’est pas rare pour un militaire. Les imaginaires sont imprégnés de romanesque et de culture antique.

 

Vous montrez également à quel point Napoléon use de la propagande…

Mathieu Schwartz : C’est un propagandiste hors pair. Fasciné par César et Alexandre le Grand, il va inspirer un nombre incalculable de leaders, pour le meilleur et pour le pire : de Gaulle, Hitler, Staline… Déjà en 1796, lors de la campagne d’Italie, il n’est qu’un général méconnu mais il écrit les récits de ses batailles pour que la presse les publie. Bonaparte comprend vite que s’il est utile de savoir faire les choses, il faut aussi le faire savoir. Alors il tord la réalité, se met en scène, écrit sa légende en temps réel. Lors du coup d’État qui lui permet de prendre le pouvoir, il est secoué par des parlementaires à l’issue d’un discours. Il transforme cette bousculade en tentative d’assassinat au poignard. Le putschiste apparaît alors comme un César moderne, triomphant de la mort.

 

Napoléon semble également obsédé par la marque qu’il laissera dans l’histoire.

Mathieu Schwartz : Tout au long de son existence, il pense à l’après et l’organise, comme si la mort n’était qu’un passage. Exilé à Sainte-Hélène à la fin de sa vie, Napoléon fait tout pour être maltraité afin d’apparaître comme une victime : “Le martyre me dépouille de ma peau de tyran”, déclare-t-il dans Le mémorial de Sainte-Hélène *. Il faut reconnaître que ses efforts ont fonctionné : une quinzaine d’années après sa mort, il devient un personnage adulé, presque divin. Des œuvres vont jusqu’à l’associer au Christ. On ne se rend pas compte de ce qu’il a pu représenter jusqu’à la fin du XIXe siècle.

 

Propos recueillis par Raphaël Badache

 

* Les mémoires de Napoléon, recueillis par Emmanuel de Las Cases.