10 MAI 2021

"Napoléon - Metternich" - “Un renversement dans l’histoire du monde”

À l’été 1813, un tête-à-tête entre Napoléon et l’Autrichien Metternich, revisité avec tension par un docu-fiction, va précipiter la chute de l’empereur français. Éclairage de l’historien Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon.

Media

Dans quel contexte se déroule cette rencontre entre Napoléon et Metternich ?

Thierry Lentz : Quelques mois après la déroute en Russie, Napoléon est parvenu à remporter plusieurs victoires sur les Russes et les Prussiens avant d’accepter une trêve. Nous sommes à l’été 1813. Il doit alors vérifier la solidité de son alliance avec l’Autriche. Si celle-ci devait rejoindre le camp des coalisés, le rapport de force s’en trouverait fortement déséquilibré. L’empereur accepte donc de recevoir à Dresde le ministre des Affaires étrangères autrichien, Clément de Metternich, dont il doute de la fidélité.

 

Napoléon a-t-il raison de douter de sa loyauté ?

Thierry Lentz : Oui, car en réalité Metternich a déjà décidé de changer de camp. Cette conversation est plutôt celle de la dernière heure : le diplomate autrichien laisse une chance à Napoléon en lui demandant de renoncer à ses conquêtes, de faire rentrer la France derrière le Rhin. Mais ce dernier n’a pas l’intention de plier. Il ne se rend pas bien compte des conséquences militaires d’un revirement autrichien et pense qu’il continuera à gagner des batailles, ce qui apparaît comme peu réaliste. Napoléon refuse donc toute concession et menace même Metternich de punir l’Autriche.

 

On découvre deux personnalités opposées : le militaire rude et le diplomate soyeux… *

Thierry Lentz : Et le jeu des acteurs mérite d’être salué ! On a un Metternich presque en position de force mais qui ne le montre jamais, gardant toujours le respect qu’il doit à son interlocuteur, face à un Napoléon beaucoup plus direct, tel un militaire habitué à être obéi, pensant à tort que le rapport de force lui est favorable. Metternich joue cette affaire magnifiquement, et l’Autriche rejoindra les coalisés. Ce qui est remarquable, c’est qu’il ne s’agit pas d’une grande négociation avec son lot de diplomates. Tout se joue dans un tête-à-tête, une conversation entre deux hommes qui par ailleurs se connaissent très bien: Metternich a été ambassadeur à Paris et fut présent lors du mariage de Napoléon avec la fille de l’empereur autrichien, Marie-Louise.

 

Un biographe de Metternich parle de cette rencontre comme “un moment de l’histoire du monde”. Pourquoi?

Thierry Lentz : Il s’agit d’un moment crucial qui va précipiter la chute de Napoléon, dont l’armée sera noyée par le nombre dès l’automne 1813, notamment à Leipzig, face à des soldats autrichiens remplis d’esprit de revanche contre la France. L’année suivante, Napoléon se voit contraint d’abdiquer. Cette rencontre marque donc une sorte de renversement dans l’histoire du monde. On revient par ailleurs à la diplomatie classique, presque “savante”, après treize ans de prépondérance française dans laquelle les Français discutaient peu.

 

Comment Napoléon est-il perçu par les monarques européens à cette époque ?

Thierry Lentz : Sur le plan militaire, malgré la déroute de la campagne de Russie, il reste très craint. L’armée française, qui a gagné deux grandes batailles au printemps, continue de faire peur. Il est ensuite toujours considéré comme un souverain légitime. On lui reconnaît son statut d’empereur. De plus, il est le gendre d’un autre empereur, celui d’Autriche. Si on le voit dans le film se comporter comme un chef de guerre avec Metternich, Napoléon sait moduler son jeu et incarner sur son trône la majesté impériale. D’ailleurs, même après sa défaite de 1814, il ne sera pas maltraité, tant s’en faut.

 

Propos recueillis par Raphaël Badache