10 SEPTEMBRE 2020

Numéro 387 - Disparu en Méditerranée - L’éloquence des morts

En Italie, une équipe de chercheurs tente de restituer leur identité au millier de migrants morts lors d’un naufrage en avril 2015, au large de la Libye. "Numéro 387 – Disparu en Méditerranée" retrace cette enquête au-delà de l’indicible. Entretien avec sa réalisatrice, Madeleine Leroyer.

Media

Pourquoi avez-vous décidé de réaliser ce documentaire ?

Madeleine Leroyer  : Le point de départ remonte à 2015. À cette époque, les naufrages de migrants et leurs bilans sont presque quotidiens. Or quand on réduit les morts à des chiffres, on les vide de leur dignité, de leur identité et de leur connexion avec les vivants. Je me suis donc demandé ce qu’il advenait d’eux. C’est ainsi qu’avec la coautrice du film, Cécile Debarge, nous avons découvert le travail de ces anthropologues légistes, en Italie.

 

L’une d’entre eux explique qu’en observant ces morts, une image nette apparaît. Laquelle ?

Madeleine Leroyer : Les objets que l’on filme – ces bijoux, bulletins de notes, permis, photos, lettres – témoignent d’une jeunesse qui part sur les routes. Des images terrifiantes. Cette femme médecin l’exprime parfaitement : c’est l’éloquence des morts. C’est comme regarder une photographie de leurs espoirs, et, dans le même temps, un élan brisé. Voir cette jeunesse dans des cercueils, seule, sans identité, sans plus personne pour l’accompagner est choquant. Toutes ces vies fichues, cette solitude...

 

Le film s’intéresse donc au “numéro 387”, dont il ne reste plus que des ossements et une lettre d’amour. Pourquoi lui ?

Madeleine Leroyer : Pour cette lettre justement, si forte. On a là un jeune homme sur les routes du monde, porteur d’une lettre d’amour. Il n’est ni le premier, ni le dernier, et pourtant, dans son dénuement, dans sa grande fragilité, mais aussi dans son élan, il symbolise tous ces morts, tous ceux de la Méditerranée. Il est celui dont il reste si peu et dont la puissance est pourtant la plus forte.

 

Madeleine Leroyer : Vous vouliez le faire exister à nouveau ? S’il y a incarnation, il y a possibilité de s’identifier. Dans les médias, soit on ne traite pas des migrants, soit on le fait de façon misérabiliste, en les réduisant à leur statut de “pauvres réfugiés”. On oublie leur dimension d’individus. Ce documentaire veut convoquer la vie, le mouvement, le moteur de leur exil et les rêves.

 

Vous développez également une réflexion sur une crise de civilisation…

Madeleine Leroyer : On parle souvent de “crise migratoire”. Je refuse ce terme. Selon moi, nous traversons une crise de nos sociétés, une crise de l’accueil. La tragédie méditerranéenne fait rupture dans notre civilisation. L’histoire ne veut pas se regarder en face et le film nous confronte à ce qui nous fait mal et nous gêne.

 

Propos recueillis par Raphaël Badache