18 MAI 2021

Palmyre de la splendeur aux ruines

Conseillère historique du documentaire que consacre le réalisateur Meyar Al-Roumi aux portraits funéraires de Palmyre, l’historienne Annie Sartre * revient sur les grandes heures de la cité antique syrienne.

Media

Qu’est-ce qui confère à Palmyre son statut de cité mythique ?

Annie Sartre : Le souvenir de sa grandeur ne s’est jamais perdu. Elle le doit d’abord à ses vestiges et à un cadre exceptionnels. Depuis Damas ou Alep, il fallait plusieurs jours de piste pour atteindre la cité, bâtie près d’une oasis au milieu de la steppe syrienne. Palmyre est ainsi restée longtemps inaccessible avant que les premiers explorateurs européens ne la redécouvrent au XVIIe  siècle.

 

Quel rôle a-t-elle joué au cours de son histoire ?

Annie Sartre : Les premières mentions d’une installation humaine à Palmyre, documentée par des tablettes cunéiformes, remontent au IIIe  millénaire avant notre ère. Son destin est bien mieux connu à l’époque romaine, car elle développe alors des activités commerciales de transit grâce à sa position entre Méditerranée et Euphrate. Son essor, dès le Ier siècle avant J.-C., est lié à l’exportation vers l’immense marché que constitue l’Empire romain de produits qui venaient d’Inde, de Chine et d’Afrique, acheminés par les caravaniers depuis le golfe Persique.

 

Dans quelles circonstances s’est-elle éteinte ?

Annie Sartre : Elle a connu son apogée au IIe  siècle, avant de décliner lentement après la chute de Zénobie, son impératrice autoproclamée, au milieu du siècle suivant, qui a sonné le glas de sa prospérité. Toutefois la ville est encore peuplée, et au IVe  siècle, elle est le siège d’un évêché. Ses habitants, exposés aux attaques de pillards et à la terreur exercée par des tribus bédouines, finiront par la déserter à la fin du Moyen Âge – seules quelques familles ont trouvé refuge dans l’enceinte du temple de Bêl.

 

Quelles sont les singularités de son art funéraire ?

Annie Sartre : Dans les nécropoles qui cernent la cité, on pouvait voir des tours, dont certaines sur cinq étages, représentatives d’un style funéraire apparu au Ier siècle avant J.-C., mais également des hypogées, des sépultures souterraines, construits plutôt par une classe moyenne, ainsi que des tombeaux-temples et des tombeaux-maisons érigés par les plus riches aux IIe et IIIe  siècles. Plusieurs étaient ornés de fresques retraçant les grands récits de la mythologie grecque, et des portraits sculptés de chaque défunt, réalisés dans le calcaire local, fermaient les orifices sépulcraux. Les familles étaient regroupées parfois sur des couvercles de sarcophages. Tous les visages étaient présentés de face, les hommes en toge ou en habit local, et les femmes parées de somptueux bijoux.

 

Quel bilan a-t-on pu établir des destructions perpétrées par Daech ?

Annie Sartre : Les djihadistes de l’État islamique ont commis des dégâts irréparables au cours de leurs deux prises du site, en août 2015 puis janvier 2016. Lors de la première, après avoir exécuté Khaled al-Asaad, l’ancien directeur des Antiquités et des musées de Palmyre, ils ont, entre autres, dynamité les temples de Bêl et de Baalshamin, les tours qui dominaient la ville, et ont renversé le grand arc. Par la suite, ils ont aussi détruit le tétrapyle, un monument de seize colonnes, et la façade du théâtre romain. Nous avons irrémédiablement perdu les fresques et les inscriptions, en grec et en araméen, portées sur les monuments rasés. Depuis, le site, occupé par les forces russes et toujours bouclé, n’a été rouvert qu’à une poignée de touristes et de journalistes triés sur le volet par les autorités.

 

Comment le site archéologique de Palmyre peut-il renaître ?

Annie Sartre : Damas n’a qu’une hâte : reconstruire au plus vite ce qui a été détruit et rebâtir hôtels et restaurants à proximité afin de faire revenir les touristes et leur manne de devises. Pour de nombreux archéologues et historiens, dont je fais partie, cela n’a aucun sens. Si l’on peut réunir un jour des fonds suffisants pour Palmyre, je plaide pour que les ruines restent en l’état, que l’on sécurise les lieux afin d’empêcher le pillage des antiquités, actuellement à l’œuvre à une échelle quasi industrielle, et que l’on puisse reprendre des fouilles : 80 % du site n’a en effet jamais été exploré.

 

Propos recueillis par Christine Guillemeau

 

*Membre du groupe d’experts de l’Unesco pour le patrimoine syrien, Annie Sartre, professeure émérite à l’université d’Artois, est spécialiste de l’archéologie funéraire et de l’épigraphie grecque et latine du Proche-Orient gréco-romain.