28 FÉVRIER 2011

"Personne ne peut s'imaginer qui était Artaud..."

"Le film s’adresse aussi bien aux plus fins lecteurs d’Artaud qu’à ceux qui ignorent jusqu’à son nom. C’est une histoire. Une véritable histoire d’amour." expliquent Gérard Mordillat et Jérôme Prieur dans cet entretien à bâtons rompus.

Gérard Mordillat :  En compagnie d’Antonin Artaud est inspiré par le journal de Jacques Prevel.  C'est la lecture de ce libre qui a déclenché l'envie de faire un film. Prével était un jeune poète qui a suivi Artaud de son retour de l’asile de Rodez jusqu’à sa mort à la maison de santé d’Ivry. Il l’a suivi pas à pas, jour après jour, notant chaque parole, chaque geste. C’est un livre qui donne un extraordinaire sentiment «d’intimité» avec Artaud…

Jérôme Prieur :. Prevel a été le disciple, le compagnon, le pourvoyeur d’Artaud ; et plus encore son chroniqueur.

Gérard Mordillat : Lorsqu’on regarde les dernières photos d’Artaud, on peut avoir le sentiment que c’est un homme d’un autre siècle ; or, Artaud n’a pas 50 ans quand il sort de Rodez !

Jérôme Prieur : C’est le fantôme qui revient, un homme passe de l’autre côté, chez les  morts. Il sort de l’enfer et en même temps il déploie une énergie faramineuse.

Gérard Mordillat :Le film raconte les deux dernières années d'Artaud : du retour de Rodez à la mort à Ivry. Mais, à partir de ces deux années là, nous rayonnons dans son oeuvre et dans le reste de son existence.

Jérôme Prieur : Il faut bien voir, qu’en 1946, c’est un petit groupe de jeunes gens et de jeunes femmes qui entourent Artaud.

Gérard Mordillat : Artaud les fascine, Artaud les galvanise et leur fidélité est absolue.

Jérôme Prieur : Comme le dit Marthe Robert : «Il en imposait» Manifestement, même détruit par neuf années d’asile, il avait une aura incroyable, une beauté incroyable. Je crois que c’est tout à fait perceptible dans les photos prises par Denise Colomb et par Loulou Pastier (le frère fidèle de Paule Thévenin). En allant rencontrer les derniers témoins, nous avons compris à quel point Artaud était encore présent physiquement pour ceux qui l’avaient connu. Nous avons ressenti ce que voulait dire Prevel quand il écrivait : «Personne ne pourra s’imaginer qui il était. Il faut l’avoir connu et tout ce que l’on écrira sur lui sera toujours en dessous de la vérité.»

Gérard Mordillat : Artaud créait autour de lui des sortes de cercles passionnés où chacun avait le sentiment d’être aimé de façon unique. Cette passion, cette violence des sentiments, ces rivalités amicales, amoureuses ont été pour nous une matière vive. La littérature, la poésie, le théâtre sont là, bien sûr, mais comme emportés par les sentiments qu’Artaud suscitait.

Jérôme Prieur : Toute cette histoire se déroule en moins de deux ans, mais pour tous ceux qui sont dans le film, elle les brûle encore.

Gérard Mordillat : Le film s’adresse aussi bien aux plus fins lecteurs d’Artaud qu’à ceux qui ignorent jusqu’à son nom. C’est une histoire. Une véritable histoire d’amour. Ce qui ne veut pas dire que ce soit une histoire facile…

Jérôme Prieur : Artaud disait du sirop chloral qu’il prenait pour atténuer ses souffrances : «Ça me ratiboise». Il faut souhaiter, avec ce film, qu’on puisse découvrir à quel point l’œuvre d’Artaud nous ratiboise.