28 FÉVRIER 2011

Peter Greenaway : Un triple hommage, musical, à Prospero, Shakespeare et John Gielgud.

En adaptant La Tempête de Shakespeare, l'auteur du Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant rend un hommage foisonnant et complexe au dramaturge et à son interprète le plus enragé, Sir John Gielgud, qui, tout au long de sa carrière joua de nombreuses fois le rôle de Prospero et rêvait de l'immortaliser sur pellicule...

Déjà, lorsque je présentais,au festival de Venise, il y a longtemps,  Meurtre dans un jardin anglais, j'avais un projet intitulé Jonson and Jones, dont le titre sonnait comme celui d’une comédie trépidante des années trente, mais qui en fait évoquait Ben Jonson et Inigo Jones montant la représentation d’un Masque en 1604, une sorte de 42e Rue à l’époque du premier âge baroque.

Le coût de la production - quelqu’un l’avait évalué à huit millions de dollars de l’époque - excluait que je puisse sur mon nom trouver cet argent. Depuis, je n’ai jamais cessé de penser à ce projet, à la forme du Masque, au drame jacobéen, à vouloir associer la musique à l’action sans que cela soit obligatoirement une comédie musicale ou un opéra, mais simplement une œuvre où l’on soit conscient de la dimension musicale.

Lorsque j’ai réalisé Dante pour Channel 4, Sir John Gielgud fut engagé pour jouer le rôle de Virgile, le guide de Dante aux enfers. Nous avons alors parlé ensemble de diverses choses, et en particulier des ambitions non accomplies. En brillant raconteur qu’il est, il a évoqué devant moi son désir ancien de proposer à un réalisateur de films La Tempête, où il jouerait bien sûr le rôle de Prospero. Dans sa très longue carrière théâtrale, je crois que Gielgud a au moins tourné cinq fois dans La Tempête, la première fois lorsqu’il avait vingt-quatre ou vingt-cinq ans, et il est intéressant qu’un jeune homme ait su interpréter un personnage aussi âgé.

Pendant les deux dernières décennies, il a donc contacté divers cinéastes comme Kurosawa, Bergman ou Fellini pour savoir s’ils seraient intéressés. Des problèmes de calendrier n’ont jamais rendu la chose possible. Gielgud a également demandé à Benjamin Britten d’écrire une partition de film tant il était fasciné par sa version musicale de La Tempête. Je crois que Britten a composé un morceau; c’était aussi le dernier projet de Michael Powell et James Mason devait jouer Prospero, ce qui avait rempli Gielgud d’un certain chagrin car il voulait avant toute chose incarner ce personnage. S’il est vrai, comme on dit, que nous sommes «amusés par la déconfiture de nos amis», il a dû être heureux finalement que le projet ne se réalise pas.

Nous avons alors commencé à discuter ensemble du film. Il partageait mon intérêt pour la forme du Masque et, bien sûr, pour le théâtre shakespearien tardif, le drame jacobéen. Ce qui me séduisait aussi, c’était d’utiliser ce brillant acteur anglais, le dernier sans doute de cette tradition qui a commencé avant la guerre et qui a créé une sorte de mythologie de l’interprétation shakespearienne avec Laurence Olivier et Ralph Richardson aujourd’hui disparus.

On a souvent prétendu que La Tempête était l’adieu de Shakespeare à la scène comme le prouve, entre autres, la dernière tirade de Prospero. Mais on peut voir aussi le film comme l’adieu de Gielgud à son art...

Certainement. C’est un triple adieu : de Prospero, de Shakespeare et de Gielgud. Nous avons essayé d’intégrer ces trois personnes en une seule et j’espère que nous avons en partie réussi. Il faut se rappeler que Shakespeare était à la fois auteur, acteur et metteur en scène, si bien que dans chaque personne toutes les autres sont déjà incluses, ce qui offre une structure complexe avec laquelle on peut jouer....

Peter Greenaway (entretien paru dans le dossier de presse à la sortie du film)