Peu de mots, mais des corps, des gémissements, des soupirs...
Le réalisateur détaille son approche des personnages dans Les Toits de Paris. Pas besoin de dialogues, assure-t-il, si tout peut s'exprimer avec l'image.
"Je voulais que les deux personnages masculins soient très contrastés, avec des corps vraiment différents. J’ai tout de suite pensé à Michel Piccoli pour interpréter le rôle de Marcel, parce qu’avec son physique majestueux, il était pour moi le seul à pouvoir jouer un personnage plongé dans la misère tout en gardant une grande dignité et une certaine classe.
Puis, j'ai inventé une vie à ce personnage, des rencontres. Il était beau dans sa jeunesse. Il a eu des copines, une femme… Dans les grandes villes, tout est possible, et dans le même temps les choses les plus simples sont impossibles. Des millions de gens de moins de 35 ans vivent seuls. Les sociétés très développées fabriquent des gens sans travail, dont les rêves sont comme rétrécis, amputés.
Pour le rôle d’Amar, il me fallait trouver un acteur qui inspire de la tendresse et l’idée de confronter Michel Piccoli à Maurice Bénichou, plus petit, plus frêle s’est imposée. Thérèse, elle, ressemble à une quantité de femmes qui travaillent dans les cafés parisiens. Des femmes qui ont été très belles, et dont on se demande quelle vie elles ont pu avoir pour se retrouver là, à leur âge, à servir dans un bar. J’ai retrouvé chez Mylène Demongeot cette opacité et cette beauté.
Sur mon palier vivait une jeune fille un peu perdue. Je voulais créer un personnage qui lui ressemble, et qui dans le même temps ressemble à tout le monde. Quelqu’un qu’on ne puisse pas ”typer” sociologiquement, ni minette de banlieue, ni bourgeoise tombée dans la ruine. Il y a ainsi dans le visage de Marie Kremer un mystère qui se prêtait bien au personnage.
Le film est très peu dialogué. Les personnages s’expriment avec le visage, le corps, les soupirs, les gémissements. Pour moi, si l’on peut exprimer quelque chose avec des images, ce n’est pas la peine de le redire avec des dialogues. Quand le dialogue concrétise une idée, il la réduit ou il l’enferme. Moi, j’ai plutôt envie d’ambiguïté. Par exemple, je voulais filmer la première scène à la piscine comme une scène dialoguée. Maurice Benichou et Michel Piccoli devaient jouer comme s’ils parlaient mais de telle sorte que le spectateur puisse réinventer les paroles à leur place.
Michel Piccoli sourit beaucoup dans le film, il rit même. Ce n’est pas parce qu’on est vieux et malade, ou qu’on habite dans une chambre de bonne, qu’on ne sourit plus. Au contraire. Le sourire est une expression de la pudeur. De la politesse. On ne sourit pas uniquement parce qu’on est heureux. On peut sourire aussi parce qu’on est triste. Quant au rire, il révèle l’absurdité des situations, même révoltantes. Un simple mouvement du visage peut tout dire. Il est capable de détruire s’il ignore ou s’il humilie, comme de créer des événements fantastiques, quand il remplace les mots d’amour par exemple.
La musique caractérise les situations et accompagne les émotions. J’avais une couleur de musique dans la tête. Je voulais qu’elle corresponde aux décors et aux personnages, qu’elle évoque des ambiances et des mélodies sans tomber dans la nostalgie. Elle a été composée par Foreign Office. Les arrangements sont différents mais un même fil conducteur traverse tout le film."
Hiner Salem