28 FÉVRIER 2011

Pierre Salvadori : "Faillite du politique, suprématie économique..."

"Il fallait créer une intrigue qui soit captivante et à l’intérieur de laquelle je pouvais représenter la violence d’une certaine logique économique", explique le cinéaste à propos des "Marchands de sable" réalisé pour Arte dans le cadre d'une proposition Gauche/Droite.

Quelle a été votre réaction lorsqu’ARTE vous a proposé de réaliser un film sur les notions de politique et de social ?Initialement, la commande était la suivante : évoquer la politique à travers le film de genre. Pierre Chevalier et Gilles Sandoz m’avaient proposé le polar. J’ai longtemps hésité parce que cette proposition “ Gauche/Droite ” me paraissait un peu abstraite. En revanche l’idée du genre me séduisait énormément. J’y ai donc réfléchi : une chose m’est alors apparue évidente. Le projet n’était intéressant que s’il parvenait à évoquer toutes mes incertitudes sur cette question. Je crois que ma propre réticence à faire ce film au départ reflétait déjà ce qui allait devenir un de ses sujets : l’engagement ou plutôt la peur de l’engagement. Et puis aussi le poids de plus en plus prégnant de l’économique sur le politique. Nicolas Saada, le coscénariste du film, m’a alors convaincu que ces deux idées pouvaient parfaitement s’intégrer à la mécanique souvent implacable du film noir : un homme est témoin d’une machination, mais hésite à agir et finalement s’engage trop tard. Enfin le principe d’une commande d’ARTE me plaisait parce qu’elle me permettait d’essayer quelque chose de nouveau sans la lourdeur et la pression d’une économie de cinéma. C’est un lieu d’expérimentation idéal.

Le film décrit très précisément une économie parallèle.Il fallait créer une intrigue qui soit captivante et à l’intérieur de laquelle je pouvais représenter la violence d’une certaine logique économique. L’univers de la drogue, ou plutôt du deal, me paraissait parfaitement convenir. Mais je ne voulais pas pour autant en donner une description purement documentaire. Je voulais qu’elle renvoie à quelque chose de plus universel : une machine inconsciente, qui ne se préoccupe que de sa propre survie, où chaque rouage prospère sur le dos du suivant et le soumet à sa loi. Pour moi c’est une image assez juste de la faillite du politique face à la suprématie de l’économique.

A travers le personnage d’Alain, on a le sentiment d’ouvrir les yeux sur cette machination. Toujours avec un temps de retard...La commande, le thème et le genre ont fait de ces personnages des figures. La place est un village, le café un poste d’observation. Alain est un témoin passif. Il pense que tout cela le dépasse, il a peur de mal faire. Il finit par s’engager. Mais cet engagement est purement émotionnel. En réalité, il s’engage trop tard. Ce geste tardif sera fatal à ceux qu’il aime.

Après plusieurs comédies, Les Marchands de sable est votre premier film noir. Qu’est-ce que cela a changé dans votre manière de travailler ?Il y a dans la comédie des enjeux plus immédiatement évidents au moment du tournage. Ici, le rythme interne des scènes n’est pas du tout le même que celui d’une comédie. On ne gagne pas la scène de la même façon. On ne court pas après les mêmes choses. Pour Les Marchands de sable, le sujet même du film impliquait une réalisation totalement différente de ce que j’avais fait jusque-là. Les personnages sont manipulés et privés de libre arbitre. On n’entre que très rarement dans des plans subjectifs. Les lieux sont importants, les gens s’observent, s’épient, se suivent. Le film est très découpé, très cadré. La narration est un peu plus complexe. Le film se fait sur la longueur. C’est un effort de patience et de rigueur moins gratifiant au tournage qu’au montage.

La musique est très présente dans le film. Comment avez vous effectué les choix des morceaux ?Je n’ai mis que de la musique que j’aime, des morceaux que j’écoute. Camille Bazbaz m’a composé un thème qui est ensuite décliné plusieurs fois dans le film. Mais sinon ce sont des dubs et du reggae répétitif et lancinant. Je trouvais que ces musiques se mariaient parfaitement avec le film. Il n’y avait qu’à les poser derrière les scènes.