03 JUIN 2017

Positif - Robert Benayoun, Juillet 1967 (Festival de Cannes) n°86: Trains étroitement surveillés

" L'humour lunaire et goguenard de Jiri Menzel se retrouve chez son protagoniste principal qui lui ressemble physiquement. Un certain goût pour les polissonneries un peu primaires, mais recadrées dans un milieu social à la fois précis et poétisé, une machinerie impeccable aux ressorts bien huilés, voilà les atouts de ce jeune réalisateur, sorte de pendant tchèque au yougoslave Makavejev. Cette histoire de gare de triage et de trains blindés rappelle plus d'une fois Keaton, aux hommages près : un chaste baiser raté par le départ inopiné d'un convoi nous ramène au Mécano de la Général. Mais c'est ailleurs, dans la généalogie burlesque de son personnage (une famille de retraités, d'oisifs, de rêveurs, tel cet hypnotiseur qui n'arrête point les tanks de la Wehrmacht), puis dans son impuissance momentanée, qui l'accule au suicide, c'est dans ce tableau à la fois ridicule et tragique d'un pucelage masculin que Menzel affirme son originalité. La gaudriole atteint les limites du poème objet, comme dans cette scène exquise où le sous-chef de gare, avec une lente inspiration, tamponne de tous les cachets disponibles les fesses d'une jolie visiteuse, scène qui entre toutes dut ravir von Sternberg, chaud défenseur du film (...) Menzel nous laisse entre les mains un objet de forme mystifiante, éperdument drôle et qui blesse aussi. Lui-même jouant le rôle d'un psychiatre minable, mal rasé et parfaitement idiot ("pensez au football", dit-il au jeune employé que défont les fiascos sexuels) réussit à préserver la qualité amère de son film, tout comme dans Le Retour de l'enfant prodigue de Schorm, il donnait à l'amant, la nuance inattendue d'une gaucherie définitive. Jamais la notion d'artiste, avec ce qu'elle comporte d'idées reçues, n'aura si bien été battue en brèche par un aussi bizarre créateur."

" L'humour lunaire et goguenard de Jiri Menzel se retrouve chez son protagoniste principal qui lui ressemble physiquement. Un certain goût pour les polissonneries un peu primaires, mais recadrées dans un milieu social à la fois précis et poétisé, une machinerie impeccable aux ressorts bien huilés, voilà les atouts de ce jeune réalisateur, sorte de pendant tchèque au yougoslave Makavejev. Cette histoire de gare de triage et de trains blindés rappelle plus d'une fois Keaton, aux hommages près : un chaste baiser raté par le départ inopiné d'un convoi nous ramène au Mécano de la Général.

Mais c'est ailleurs, dans la généalogie burlesque de son personnage (une famille de retraités, d'oisifs, de rêveurs, tel cet hypnotiseur qui n'arrête point les tanks de la Wehrmacht), puis dans son impuissance momentanée, qui l'accule au suicide, c'est dans ce tableau à la fois ridicule et tragique d'un pucelage masculin que Menzel affirme son originalité. La gaudriole atteint les limites du poème objet, comme dans cette scène exquise où le sous-chef de gare, avec une lente inspiration, tamponne de tous les cachets disponibles les fesses d'une jolie visiteuse, scène qui entre toutes dut ravir von Sternberg, chaud défenseur du film (...)

Menzel nous laisse entre les mains un objet de forme mystifiante, éperdument drôle et qui blesse aussi. Lui-même jouant le rôle d'un psychiatre minable, mal rasé et parfaitement idiot ("pensez au football", dit-il au jeune employé que défont les fiascos sexuels) réussit à préserver la qualité amère de son film, tout comme dans Le Retour de l'enfant prodigue de Schorm, il donnait à l'amant, la nuance inattendue d'une gaucherie définitive. Jamais la notion d'artiste, avec ce qu'elle comporte d'idées reçues, n'aura si bien été battue en brèche par un aussi bizarre créateur."