28 FÉVRIER 2011

"Pour mieux montrer l’envers du décor, nous avons préféré le cacher un peu"

Auteur de plusieurs documentaires vifs et crus sur la jeunesse, Anne Villacèque aiguise un peu plus son regard après le succès de son premier long-métrage, "Petite Chérie". A propos du style de "Riviera", elle explique comment à travers l'image, le décor, la musique, elle a voulu une Côte d'Azur scintillante mais qui masque surtout une certaine misère. Sa jeune héroïne suit un parcours initiatique qui est l'histoire d'une désillusion... La réalisatrice s'en explique.

> Le style du film.

"Avec le directeur de la photographie, Pierre Milon, nous avions décidé de tout filmer à l’épaule en privilégiant les longues focales, le 50mm, mais surtout, le 85mm, de manière à isoler les personnages dans le cadre et à montrer le décor par fragments. La Côte d’Azur est là, bien présente, à travers les couleurs, le bleu de la mer, la lumière éclatante du jour, ou les multitudes de lumières scintillantes la nuit. Mais le film n’est jamais vraiment descriptif. Je ne voulais pas d’un dépliant touristique. Trop de lieux sont saturés d’images et de représentations. La Promenade des Anglais, par exemple, est surtout présente à travers la bande-son, le bruit de fond permanent." [Pierre Milon travaille régulièrement avec les mêmes réalisateurs : Robert Guédiguian (Le Voyage en Arménie, et Lady Jane - en tournage- ; Lucas Belvaux (La Raison du plus faible, Nature contre nature, la trilogie : Cavale, Après la vie, Un couple épatant; Laurent Cantet (Vers le sud, L'Emploi du temps) et a signé la lumière de Ma vraie vie à Rouen de Ducastel et Martineau, Jeunesse dorée de Zaïda Ghorab-Volta, Ligne 208 de Bernard Dumont, On appelle ça... le printemps de Hervé le Roux, Quand on sera grand de Renaud Cohen, Le Petit voleur d'Erick Zonca, Qui a tué Bambi ? de Gilles Marchand... ]

> L'envers du décor.

"En choisissant les décors au moment des repérages, nous nous sommes dit que le principal personnage du film, c’était peut-être cette Riviera française, qui a une signification imaginaire assez riche mais, qui, concrètement, est une région où l’urbanisation intensive a détruit à peu près tout ce que le paysage pouvait avoir d’exceptionnel et de poétique. C’est très peu poétique, la Côte d’Azur. C’est surtout bruyant et pollué. Le film joue tout le temps sur ça, ce double aspect : la réalité triviale et la représentation imaginaire. Et, pour mieux montrer l’envers du décor, nous avons préféré le cacher un peu. Il y a très peu de plans larges dans le film. Il n’y a guère que les travellings qui dévoilent un peu plus."

> L'image.

"Le choix des longues focales a permis aussi de filmer les acteurs différemment. Si le décor disparaît, les acteurs, eux, apparaissent plein cadre. C’est un film en gros plans, un film sur la peau, la peau des actrices, surtout, qu’on voit de très près, sous toutes les lumières. C’est quelque chose qui me touche beaucoup, la peau des actrices au cinéma, et qu’on voit pourtant de plus en plus rarement, tellement les visages sont masqués, retouchés, parfois même lissés par les opérations chirurgicales. Un mauvais maquillage, ou un maquillage inadapté, ça gâche complètement la vision qu’on peut avoir d’un film.

En choisissant de cadrer le film à l’épaule, nous avons choisi délibérément d’être dans une sorte de réactivité immédiate à tout ce qui pouvait se présenter, au moment du tournage. Nous nous sommes toujours laissés un espace d’improvisation qui permettait au chef opérateur de réagir en fonction des propositions des comédiens et à moi de rebondir ensuite. Sur chaque plan, il y avait donc une sorte de danse qui se mettait en place entre Pierre et les comédiens, il fallait qu’ils se sentent bouger mutuellement parce que les cadres étaient toujours un peu trop serrés, un peu trop justes, et que rien ne pouvait être codifié trop exactement. La seule vraie contrainte de ce mode de fonctionnement, c’est que j’étais obligée d’être collée au combo pendant la prise pour réagir et proposer des directions nouvelles."

> Un film très musical.

"Il y a d’abord eu une rencontre avec Marc Collin, tout simplement parce que j’avais aimé l’album Nouvelle Vague, que j’avais écouté et réécouté pendant la période des repérages, en parcourant en voiture la Corniche et la Promenade des Anglais. Pour l’ouverture du film, je trouvais très juste l’idée d’une musique intemporelle, à la fois contemporaine et nostalgique. La Côte d’Azur, ça renvoie sans cesse à un âge d’or dépassé... L’idée de l’album Nouvelle Vague, c’est précisément ça : un mélange miraculeux entre hier et aujourd’hui, des tubes rock réinterprétés en version Bossa Nova. Après ce choix initial, Marc m’a fait écouter ce qu’il avait composé, beaucoup de musiques électroniques, et aussi des albums inspirés directement par le cinéma, avec de vraies ambiances qu’on aurait pu croire piquées à des films américains de série B. Il y a eu un dialogue permanent entre nous, il m’a proposé des morceaux qu’il avait déjà écrits pour les scènes de boîte pour lesquelles je voulais une tonalité froide, presque déshumanisée. Il a composé aussi de nouveaux morceaux. La chanson «I wish I was a boy» que Marc venait d’écrire avec Muriel Moreno est arrivée pendant le tournage, sur un CD, presque par hasard. Ensuite, on n’a plus réussi à la lâcher : elle entrait en résonance avec le propos du film de façon un peu décalée, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi ni comment, mais je n’imaginais plus le film sans elle."

> L’épilogue autour de la piscine.

"Ça ne pouvait pas bien se terminer ; je ne crois pas aux miracles. Par contre, je crois qu’on peut faire plusieurs lectures de cet épilogue. Une première lecture très factuelle : se dire que Stella a touché le fond. Mais pour moi, c’est la lecture la plus plate, la moins intéressante. C’est beaucoup plus fort de lire cette fin comme un cri de révolte, une sorte de libération. L’absence de révolte des personnages, tout au long du film, contre ce que la vie leur propose, c’est ce qui rend le film terrible. Personne ne crie jamais. Stella parle très peu, et ne sait jamais dire non. On ne lui a pas appris, tout simplement. Alors, à la fin, quand arrive cette fille au piercing qui se met à hurler et dit enfin les choses telles qu’elles sont, c’est violent, parce que la fille est enragée, mais je me sens entièrement de son côté.

On peut relire aussi tout le film comme un parcours initiatique, l’histoire d’une désillusion : Stella a perdu son innocence, ce regard plein d’attente et de désir qui la rend attachante, au début. Mais, à la fin, elle est plus forte Son regard s’est durci. Elle est passée de l’autre côté du miroir. Peut-être que, maintenant, elle saura se défendre."