09 JUIN 2021

Préliminaires - Jeux de grands

Face à Julie Talon, ados et jeunes adultes témoignent de leur entrée dans la sexualité, à l’heure où les “prélis” (pour “préliminaires”) et les selfies dénudés s’invitent à l’orée du collège dans les cours de récré. Un documentaire sensible, qui marque le retour de la collection “La vie en face”.

Media

Quelle est la genèse de ce film ?

Julie Talon  : Mère de trois adolescents, j’ai découvert, malgré moi, l’existence des préliminaires et des “nudes”, ces photos intimes prises avec un téléphone, dans la vie des collégiens. Pour cerner l’ampleur du phénomène, j’ai rencontré une centaine d’ados et de jeunes, âgés de 12 à 23 ans, issus d’établissements bourgeois ou populaires, de Paris et de Strasbourg. J’ai été très surprise de leur facilité à s’exprimer sur le sujet. Dans leur quotidien, les “nudes” et les “prélis” – allant des caresses diverses aux pratiques de fellation et de cunnilingus – symbolisent un rite de passage à accomplir, souvent dès l’entrée au collège, sous peine d’être ringardisé. 

 

Comment vivent-ils cette injonction ?

Julie Talon  : La pression autour de la sexualité existe depuis toujours chez les adolescents. Mais à l’ère des réseaux sociaux, ils vivent dans l’obligation de prouver qu’ils sont, comme ils le disent, “actifs sexuellement”. Tous ne se livrent pas aux “prélis” ou aux “nudes”. En revanche, tous connaissent le poids de ces pratiques dans l’ascension ou la dégringolade sociale au sein du collège, cette microsociété régie par un système de castes. Les répercussions peuvent s’avérer douloureuses, notamment chez les filles, souvent mises au ban de l’école quand leurs clichés dénudés deviennent publics, ou chez les garçons que leur homosexualité réelle ou supposée relègue au bas de l’échelle. Ces derniers grandissent dans la peur, exposés à une violence sidérante. 

 

Pourquoi n’avoir pas recouru à la parole d’experts dans ce documentaire ? 

Julie Talon  : Au début de l’écriture du projet, avec mon coauteur Mathieu Horeau, nous avions prévu de faire intervenir quelques experts. Mais très vite, nous nous sommes rendus à l’évidence : la lucidité des jeunes sur leur vécu et leur capacité d’analyse faisaient d’eux les meilleurs spécialistes du sujet. C’est aussi pour cette raison que le film n’utilise pas de voix off. Par ailleurs, j’ai souhaité respecter l’intimité des mineurs en illustrant leurs propos par un travail d’animation, réalisé en collaboration avec Bérangère Lallemant de Doncvoilà productions. Les jeunes découvrent la pornographie précocement.

 

Comment cette exposition les influence-t-elle ?

Julie Talon : Elle tend à leur imposer des scénarios sexuels et un type de rapport au corps, par exemple à travers l’épilation féminine intégrale. L’entrée dans la sexualité laisse alors peu de place à la spontanéité et au désir. Les jeunes savent que les films X ne traduisent pas la réalité. Néanmoins, ils se construisent avec ces images qu’on ne leur a pas appris à décoder. La publicité et le rap, aux paroles de plus en plus crues, participent aussi à la banalisation du sexe chez la jeune génération.

 

Pourtant, l’âge moyen du premier rapport sexuel, autour de 17 ans, n’évolue pas depuis les années 1980…

Julie Talon : C’est le paradoxe. C’est aussi pour cela qu’il me semblait important de redéfinir la notion de viol. Car l’imaginaire collectif n’envisage pas les préliminaires comme du “vrai” sexe, contrairement à la pénétration. Aujourd’hui, parler de consentement à des gamins de sixième travaillés par leurs hormones, c’est déjà trop tard. Toutefois, ces jeunes restent lucides. J’ai été très émue par le développement de leur conscience politique. Quoi qu’on en dise, ils s’interrogent et se remettent en question. 

 

Propos recueillis par Clara Le Quellec