03 JUIN 2017

Première - Jean-Jacques Bernard: La Jeune fille et la mort

" Atmosphère chargée, huis clos dérangeant et film captivant... Mise en scène, acteurs, Meccano exemplaire de la progression dramatique: c’est la totale réussite d’un procès en chambre, sans tribunal, dont le procureur est aussi la victime et qui retourne sans cesse nos attentes. Mais c’est un procès de la torture qui servira aussi de jugement de réhabilitation pour Polanski, quatre ans après son dernier Lunes de fiel, et vingt-neuf ans après Cul-de-sac auquel ce nouveau film ressemble, non par le sujet mais par l’ambiance... Le choix d’adapter la pièce d’Ariel Dorfman réputée chargée de sens pouvait laisser craindre quelques pesanteurs. C’était oublier l’acuité ultra-pointue de Polanski. Oublier surtout sa faculté vitale à ressourcer ses propres obsessions. Y compris dans la dramaturgie d’un autre. On dira que c’est la première fois que Polanski traite directement de politique. Mais nuançons. Car le film - bien que très proche d’une vérité authentique - est moins basé sur les tortures au Chili que sur un approfondissement tragique de la relation bourreau-victime. Que Sigourney Weaver n’ait pas un physique très latin n’a donc ici aucune importance. C’est au contraire le gage qu’une actrice exceptionnelle, au physique à la fois féminin et martial, puisse donner une force d’impact unique à une situation elle-même unique: la «chance» pour une victime de retrouver son tortionnaire. Car on a la conscience humaniste malaxée pendant près de deux heures. Chaque fois qu'on croit saisir une piste, un rebondissement vient tout déjouer. De fait, on n’est jamais certain que Ben Kingsley, avec son humanité si calme, soit l’homme qui, jadis, la violenta. Elle-même, qui devient sadique à son tour, le sait-elle vraiment d’ailleurs? C’est évidemment tout l’intérêt de ce film qui, telle la patate chaude, fait constamment courir notre sympathie de l’un à l’autre des trois protagonistes, l’avocat étant le constant balancier entre les sphères privées et politiques... Mais la plénitude d’une action entre quatre murs, tout comme l’affrontement de personnages face à leur destin, ou celui des grandes pulsions sexuelles et mortifères qui habitent chacun de nous, ce sont, encore une fois, autant de thèmes qui traversaient déjà toute l’œuvre de Polanski. A quoi il ajoute cette étrangeté, cette ambiguïté des accessoires (couteau, fil électrique) et des décors extrêmes (proximité des falaises de la mer, sentiment de bout du monde) qui n’appartient qu’à lui. Ainsi, la matrice d’un sujet magistral, trois acteurs américains des plus accomplis, une façon de filmer qui rappelle (en les dépassant) ses premiers films européens Roman Polanski atteint ici l'accomplissement du plus intelligent résultat qu’on puisse attendre d’un art universel..."

" Atmosphère chargée, huis clos dérangeant et film captivant... Mise en scène, acteurs, Meccano exemplaire de la progression dramatique: c’est la totale réussite d’un procès en chambre, sans tribunal, dont le procureur est aussi la victime et qui retourne sans cesse nos attentes. Mais c’est un procès de la torture qui servira aussi de jugement de réhabilitation pour Polanski, quatre ans après son dernier Lunes de fiel, et vingt-neuf ans après Cul-de-sac auquel ce nouveau film ressemble, non par le sujet mais par l’ambiance...

Le choix d’adapter la pièce d’Ariel Dorfman réputée chargée de sens pouvait laisser craindre quelques pesanteurs. C’était oublier l’acuité ultra-pointue de Polanski. Oublier surtout sa faculté vitale à ressourcer ses propres obsessions. Y compris dans la dramaturgie d’un autre. On dira que c’est la première fois que Polanski traite directement de politique. Mais nuançons. Car le film - bien que très proche d’une vérité authentique - est moins basé sur les tortures au Chili que sur un approfondissement tragique de la relation bourreau-victime. Que Sigourney Weaver n’ait pas un physique très latin n’a donc ici aucune importance. C’est au contraire le gage qu’une actrice exceptionnelle, au physique à la fois féminin et martial, puisse donner une force d’impact unique à une situation elle-même unique: la «chance» pour une victime de retrouver son tortionnaire.

Car on a la conscience humaniste malaxée pendant près de deux heures. Chaque fois qu'on croit saisir une piste, un rebondissement vient tout déjouer. De fait, on n’est jamais certain que Ben Kingsley, avec son humanité si calme, soit l’homme qui, jadis, la violenta. Elle-même, qui devient sadique à son tour, le sait-elle vraiment d’ailleurs? C’est évidemment tout l’intérêt de ce film qui, telle la patate chaude, fait constamment courir notre sympathie de l’un à l’autre des trois protagonistes, l’avocat étant le constant balancier entre les sphères privées et politiques... Mais la plénitude d’une action entre quatre murs, tout comme l’affrontement de personnages face à leur destin, ou celui des grandes pulsions sexuelles et mortifères qui habitent chacun de nous, ce sont, encore une fois, autant de thèmes qui traversaient déjà toute l’œuvre de Polanski. A quoi il ajoute cette étrangeté, cette ambiguïté des accessoires (couteau, fil électrique) et des décors extrêmes (proximité des falaises de la mer, sentiment de bout du monde) qui n’appartient qu’à lui.

Ainsi, la matrice d’un sujet magistral, trois acteurs américains des plus accomplis, une façon de filmer qui rappelle (en les dépassant) ses premiers films européens Roman Polanski atteint ici l'accomplissement du plus intelligent résultat qu’on puisse attendre d’un art universel..."