02 JUIN 2022

Qu'est-ce qu'on va faire de Jacques ? Entretien avec la réalisatrice Marie-Garel Weiss

Scénariste pour la télévision, le cinéma et le théâtre, Marie Garel-Weiss réalise son premier long-métrage en 2017, le très remarqué La fête est finie. Dans la fiction Qu’est-ce qu’on va faire de Jacques ?, co-écrite par Pierre Chosson et Hedi Sassi, elle signe un film tendre sur la maladie et les aidants doublé d’un intime portrait de famille.

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Qu’est-ce qui vous a plu à la lecture du scénario ?

Marie Garel-Weiss : Je me suis sentie familière du récit livré par Pierre Chosson et Hedi Sassi. J’ai subi moi-même la maladie. Comment la gérer au sein d’une famille ? Comment se battre contre l’impuissance et la fatalité ? Comment avancer quand l’un de ses proches stagne ? Ces interrogations, mais aussi le mélange de fragilité héréditaire et d’errance vécu par Jacques et sa fratrie me parlent. Ici, la pathologie est complexe car multiforme. J’ai connu des amis atteints de schizophrénie. Les malades partagent tous la souffrance et un rapport dissocié au corps pour lequel ils ne ressentent pas de délimitation. En accumulant les couches de vêtements, par exemple, Jacques s’offre un contour. Le beau documentaire Les mondes de Vincent de Rozenn Potin m’a aidé à cerner davantage son personnage et la relation qui l’unit à sa sœur Louise.

 

Pourquoi donner une large place à ce tandem singulier ?

Marie Garel-Weiss : Je cultive une obsession pour les duos que j’ai déjà mis en scène dans mon premier film, La fête est finie. Le lien fort qui en découle peut s’avérer salutaire comme destructeur. Les coscénaristes m’ont laissé la liberté de creuser la proximité entre Jacques et Louise. Estelle et Fabien, plus âgés, ont pris leur part dans la gestion de la maladie de leur frère. Louise, elle, s’est distinguée par son absence auprès de Jacques dont elle était inséparable enfant. Son retour dans le nid familial, après la mort du père, la confronte à son passé. Elle chemine personnellement mais se heurte, en même temps, à une forme de désarroi.

 

Le personnage de Jacques, joué par Vincent Deniard, reste lucide sur sa situation…

Marie Garel-Weiss : C’est un drôle de mec malin et roublard. Il n’est pas dénué d’affection mais se trouve empêché par sa pathologie. Il nourrit de grands rêves un pied entre deux mondes. En dehors de ses crises, il manifeste une grande compréhension au point d’imaginer des solutions, parfois cocasses, pour se rendre moins encombrant. Ce film aurait pu s’appeler Qu’est-ce que je vais faire de moi ? Problème : plus Jacques se conforme aux désirs des autres, plus il perd pied. Une question déchirante se pose aussi en filigrane : quelle personne serait-il devenu sans la maladie ? Sans sombrer dans le pathos que nous avons toujours refusé, nous ne voulions pas édulcorer la dureté, l’apprêté de l’expérience vécue par Jacques.

 

Comment avez-vous composé votre casting ?

Marie Garel-Weiss : La fratrie devait s’incarner naturellement. Les acteurs se sont particulièrement investis dans leurs rôles. Vincent Deniard (Jacques) réalise un travail de composition incroyable dans la peau de ce géant sans filtre. Maud Wyler (Louise) oscille gracieusement entre force et fragilité. Pascal Rénéric (Fabien), déjà au casting de La fête est finie, se jette à cœur perdu dans le pd’aîné geignard convaincu que son frère lui a volé son enfance. Claude Perron (Estelle) s’illustre avec brio en grande sœur aux allures de sainte. L’alchimie au sein du quatuor a fonctionné immédiatement. Samir Guesmi (Laurent), lui, affiche une inventivité folle dans la peau du compagnon de Louise, à la fois candide et lâche.

 

Vous avez tourné principalement à la campagne, en Charente. Pourquoi ?

Marie Garel-Weiss : Le village de Chazelles était le cadre idéal pour insuffler une dimension contemplative à la mise en scène. Le soin particulier apporté à la lumière, à l’image, répond au désir de créer du romanesque et de provoquer des sensations. La musique de Ferdinand Berville et de Pierre Allio renforce ce lyrisme. Il fallait refléter l’apaisement ressenti par Jacques dans la nature a contrario de la ville qui accentue ses tourments, mais aussi donner à voir son monde intérieur. Les costumes et les décors ont été pensés en ce sens. Isolée, la bâtisse familiale est un personnage en soi avec ses odeurs, sa saleté, son bordel immuable depuis des décennies. Jacques lui voue un attachement fœtal. Il ne veut pas y être arraché. Ce film raconte aussi quelqu’un qu’on n’écoute pas.

 

Propos recueillis par Clara Le Quellec