15 MARS 2021

"Soigner à tout prix" - Voyage au purgatoire

Pour son documentaire "Soigner à tout prix", Ilan Klipper s’est immergé dans le service de réanimation de l’hôpital Bichat lors du premier confinement. Une incursion bouleversante dans un monde parallèle. Entretien.

Media

Votre film débute par une séquence dure, où l’on passe plusieurs minutes avec un homme intubé. Pourquoi ce choix ?

Ilan Klipper : D’entrée de jeu, il s’agit de montrer ce qui se passe lorsqu’on est frappé par le Covid-19 et que ça tourne mal. Le film s’intéresse à des cas sévères, en réanimation, à des patients pour la plupart âgés de 55 à 65 ans. L’objectif est de dévoiler au spectateur la réalité d’une crise sanitaire que la litanie de chiffres parfois arbitraires et les interviews chocs ne permettent pas d’appréhender. Au fil de séquences diverses, comme un puzzle à assembler, on raconte la vie quotidienne d’un service de réanimation, sans dicter ce qu’il faut en penser, sans être manichéen ni anxiogène. Honnêtement, c’est un autre monde. Lorsqu’on arrive dans le couloir, on n’ose pas regarder autour de soi : il y a des gens branchés partout, des bruits de machines, une agitation constante… On sent qu’on frôle la mort, comme si on se trouvait au purgatoire : le dernier endroit où les médecins tentent quelque chose, avant la fin.

 

Les soignants vous semblaient-ils eux-mêmes en détresse ?

Ilan Klipper : Non, pas vraiment. Je n’ai commencé à tourner qu’au deuxième mois du premier confinement, et durant vingt-six jours, mais dans ce service, ils ne semblaient ni paniqués ni submergés par l’angoisse. Ce qui m’a surtout impressionné, c’est leur rythme : ils courent tout le temps! Leurs journées sont complètement dingues, très intenses. Ils passent sans cesse d’un patient à un autre, ont à peine le temps de manger. Le moindre geste, comme retourner quelqu’un sur le ventre, prend un temps fou et mobilise quatre infirmiers, des aides-soignants…

 

Lors d’une autre séquence, on découvre l’équipe médicale en train de débattre de la poursuite des soins d’un patient intubé…

Ilan Klipper : C’est ce qu’ils appellent les réunions éthiques. Lorsqu’un patient arrive à un stade critique, son bilan est analysé par le service – infirmières, aides-soignants, médecins, médecin-chef – et chacun donne son avis sur la manière de poursuivre les soins ou, dans les cas extrêmes, de les arrêter. Il s’agit d’un aspect passionnant du métier, car on découvre que les paramètres médicaux ne sont plus seulement objectifs. Les soignants débattent, s’opposent. Mais l’absence de consensus profitera toujours au malade.

 

Propos recueillis par Raphaël Badache