28 FÉVRIER 2011

Sólveig Anspach : "Au plus profond de soi"

"J’avais envie qu’il y ait une représentation visuelle du chaos mental de mon héroïne. Et j’ai tout de suite pensé à l’Islande, mon pays d’origine..." Ainsi, la réalisatrice de "Haut les coeurs" a-t-elle tourné "Stormy Weather" dans l'île de son enfance, tandis qu'elle explique aller "automatiquement au plus profond de soi" pour chercher l'inspiration de ses films de fiction... Entretien.

Rochers déchiquetés, tempête, grondement des vagues… Vous avez tourné Stormy Weather sur l’île de votre enfance, l’Islande. Elle apparaît comme le paysage de la folie…Sólveig Anspach  - J’avais envie qu’il y ait une représentation visuelle du chaos mental de mon héroïne. Et j’ai tout de suite pensé à l’Islande, mon pays d’origine, parce qu’il me semble que ces éléments déchaînés influent sur le tempérament. Les gens là-bas ont un comportement de maniaco-dépressifs : l’hiver, il fait nuit tout le temps, ils sont mélancoliques ; l’été, ils travaillent quatorze heures pas jour, se bourrent la gueule et dansent jusqu’à 4 heures du matin. Je ne sais pas si l’Islande rend fou, mais en tout cas c’est un pays qui rend humble. Face à cette nature incontrôlable, on réalise qu’on n’est pas grand-chose.

La maladie traverse vos films : physique dans Haut les coeurs!, mentale ici…Oui, et entre les deux il y a eu Made in the USA, un documentaire sur Odell Barnes, condamné à mort au Texas. L’héroïne de Haut les cœurs !, atteinte d’un cancer, est condamnée à mort par la nature. Odell Barnes l’est par la loi des hommes. Ce sont des êtres en survie. Et si, dans Stormy Weather, Loa ne parle plus, c’est sûrement parce que c’est le meilleur moyen qu’elle ait trouvé pour survivre. Ce qui est peut-être une définition de la folie. Je crois que c’est un thème qui m’a toujours habitée. Qui est au centre de mes films préférés, Une femme sous influences, de Cassavetes, L’enfant sauvage, de Truffaut… Et puis, c’est aussi un état fascinant, parce que nous risquons tous, à un moment ou à un autre, de le frôler, voire de tomber dedans. Peut-être en suis-je d’autant plus consciente que j’ai passé beaucoup de temps dans cette petite île, où il n’y a pas de structure d’enfermement pour les gens différents. Alors, ils vivent avec les autres au sein de la communauté. Chez ma grand-mère, la maison était toujours ouverte aux trisomiques, aux dépressifs, aux alcooliques. J’ai grandi avec eux.

Vos films de fiction puisent dans votre vie…Quand on commence à raconter une histoire, on va automatiquement chercher au plus profond de soi. Alors qu’avec le documentaire on se rend complètement disponible à l’autre. Ce qui est drôle, c’est qu’à travers Stormy Weather, j’interroge ma démarche de documentariste. En mettant en scène une jeune psychiatre, Cora, qui cherche envers et contre tout à réparer le monde, à soigner cette femme mutique, je me reconnais complètement dans ma relation aux êtres auxquels j’ai consacré des documentaires. Parce que ce sont souvent des personnes en situation de fragilité et que j’avais moi aussi, au moins au début, ce désir absolu de les aider, qui relève d’un fantasme de toute-puissance. Je n’avais aucune distance, je m’impliquais complètement dans la vie de ces gens. Et cela peut créer une relation très déséquilibrée…

Au final, le spectacteur ne dispose que de très peu d’indices pour expliciter les motivations des deux personnages…J’avais envie de faire un film presque muet. Qui n’apporte pas de réponses définitives. Parce que, parfois, il n’y en a pas : il n’y a pas toujours de traumatisme originel. En Islande, certains volcans entrent soudainement en éruption, des îles surgissent de la mer, sans explication. Et puis, comme dans le documentaire, on devine parfois beaucoup de ce que trimballent les gens avec eux, juste en écoutant leur façon d’assembler les phrases, leur ponctuation. Et leurs silences.

Propos recueillis par Marjolaine Jarry (nov 2003)