15 NOVEMBRE 2021

Sous le soleil de Pialat - L'écran nu

Dans un bel hommage au grand cinéaste, William Karel raconte, avec tendresse mais sans complaisance, Maurice Pialat, qu’il a bien connu. Précisions.

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Pourquoi avoir voulu rencontrer Maurice Pialat en 1983 ?

William Karel : Photographe de plateau à l’époque, j’adorais ses films, surtout « L’enfance nue », des chocs qui tranchaient avec la tiédeur du cinéma français. J’avais envie de le voir au travail. Ça me plaisait aussi qu’il eût réalisé son premier long métrage à plus de 40 ans – un peu comme moi, toutes proportions gardées. Avant, il avait galéré durant une vingtaine d’années à vendre des machines à écrire ou des produits pharmaceutiques et moi, j’avais été ouvrier chez Renault. Je devais rester une semaine sur le tournage d’ « À nos amours » ; j’ai suivi Pialat pendant quatre ou cinq ans.

 

Quel homme découvrez-vous ?

William Karel : Un ami de l’agence m’avait prévenu que le tournage serait un cauchemar. J’étais au courant des colères, des hurlements, des départs intempestifs. Mais c’était intéressant de voir la “méthode Pialat”, qui consistait à créer de la tension à partir de rien pour déstabiliser comédiens et techniciens et obtenir cette authenticité qu’il recherchait.

 

D’où viennent ses blessures ?

William Karel : Après la ruine de son père, quand il a 4 ans, la famille quitte le Sud et une maison confortable pour la région parisienne. Obligée de travailler, sa mère le confie à sa grand-mère. Il ne s’est jamais remis de ce déclassement ni de cet abandon. Dans les années 1950 et 1960, il souffre aussi de ne pouvoir réaliser des films comme Godard, Truffaut, Chabrol... Il passe des années à écrire et personne ne veut de lui, peut-être parce qu’il ne vient ni des Cahiers ni de la Cinémathèque.

 

Comment définir son cinéma ?

William Karel : Chez lui, tout est vrai. La vie quotidienne, les cafés, les gens de la rue, la banlieue dans Loulou... : il filme la vie comme elle est et jamais les comédiens ne sont aussi naturels. Avec deux César pour « À nos amours » et une Palme d’or pour « Sous le soleil de Satan », il n’a jamais été un cinéaste maudit, même s’il se vivait comme tel. Aujourd’hui, Pialat est considéré comme le plus grand maître français, avec Renoir, et toute la jeune génération se réclame de lui.

 

Comment avez-vous voulu l’aborder ?

William Karel : D’abord par ses actrices, dont bien sûr Sandrine Bonnaire, l’événement magique du tournage d’« À nos amours », Isabelle Huppert, Sophie Marceau, Nathalie Baye... Je ne voulais surtout pas faire un film à sa gloire, et je n’ai rien voulu escamoter, ni quand il va déterrer le corps de sa mère pour le filmer, ni quand la femme de Jean Yanne meurt pendant le tournage de « Nous ne vieillirons pas ensemble » et qu’il pense que ce sera bon pour le film.

 

Avez-vous le sentiment de l’avoir compris avec ce film ?

William Karel : Je ne crois pas, hélas. Mais je lui dois tout. C’est grâce à lui que j’ai réalisé mon premier documentaire et quitté la photo. Je le considère comme un père spirituel et plus encore. À sa mort, j’ai eu le sentiment de perdre un membre de ma famille.

 

Propos recueillis par Sylvie Dauvillier