03 JUIN 2017

Studio Magazine - Catherine Wimphen: Aux yeux du monde

" Dans Aux yeux du monde, l'amour est magique. Quand ils comprennent que Bruno fait tout ça par amour, les otages du car commencent à l'aimer. Nous, on le sait depuis le début, et on l'aime depuis le début. C'est pourtant un paumé, un type pas formidable et pas très malin. Mais c'est un héros. On est avec lui tout le temps, et avec les autres, sa fiancée Juliette ( !), l'institutrice, le chauffeur du car, les enfants. Parce que ce sont eux que Rochant privilégie. Il y en a toujours un dans le cadre. Alors qu'il s'agit quand même d'un road-movie qui traverse des villages ou s'enfonce dans la forêt, jamais la caméra ne s'échappe du coeur de l'intrigue pour un plan de paysage. Et, magiquement aussi, l'autocar, si important qu'il a failli avoir l'honneur du titre, disparaît presque de l'écran. Ce n'est plus qu'un décor comme un autre. L'essentiel est ce qui se passe dedans. — Il fallait, pour réussir cela, que les interprètes occupent l'espace, réel et imaginaire. On sait qu'Eric Rochant répète beaucoup avec ses acteurs. On sait qu'il leur écrit des scènes qui ne seront jamais tournées, et les nourrit ainsi de leur personnage. Le résultat est, encore une fois, formidable. Bruno, c'est Yvan Attal (...) étonnant de vérité, quelle que soit l'humeur qu'il a à jouer. Hyper-nerveux quand il a peur, anéanti quand il doute, épaté par l'institutrice, inquiété par le chauffeur, touchant avec les enfants, amoureux avec Juliette. C'est subtil, c'est juste. Eblouissant. Charlotte Gainsbourg, dans le rôle de Juliette, nous fait encore un tour de magie. On ne la voit pas beaucoup et pourtant, avec un regard de fierté, un sourire d'amour, elle est tout le temps présente. Juliette est plus raisonnable que Bruno. Emue, flattée, touchée, elle dit quand même ce que chaque spectateur a d'abord pensé : « Mais pourquoi t'as pas pris le train ? » Magnifique. Parce que c'est ça aussi, surtout, le talent de Rochant. Son écriture est précise et simple, travaillée et légère. Il suit étape par étape la psychologie de chacun de ses personnages sans jamais les lâcher. On ne les lâche pas non plus. Kristin Scott-Thomas est une institutrice provinciale, en jupe de coton et chemisier fleuri. Partagée entre ces enfants dont elle a la responsabilité et ce grand enfant qui menace de faire une grosse bêtise. On l'avait vue plutôt séductrice ou femme forte (La Méridienne, Force majeure, Le Bal du gouverneur), elle est parfaite dans ce quasi-contre-emploi. Le chauffeur du car, c'est le fonctionnaire. Celui qui veut arriver là où son chef lui a dit d'aller, avec un car en bon état. Petit à petit, pourtant, la magie de l'amour va l'atteindre. Un rôle presque muet pour Marc Berman, qui conserve, dans un visage impassible, un regard d'une étrange intensité. Il est simplement là, comme une menace, avec ses pensées qu'on devine à un battement de cils. Très fort. Et puis, il y a les enfants. Bien sûr, ce sont eux les premiers qui s'attachent à Bruno. On connaît leur instinct : s'ils n'ont pas si peur, c'est que Bruno n'est pas si dangereux. Il n'y a pas de cascades, pas de pétarades, pas de pathos dans Aux yeux du monde. C'est la marque Rochant. En choisissant, pour son deuxième film, un genre, le thriller psychologique, extrêmement différent du premier, la comédie sentimentale, il garde toute son identité (...) Une fois encore, Eric Rochant nous parle légèrement de choses graves. C'est comme une pudeur. Ça ressemble au chapeau et aux lunettes noires qu'il porte sur son tournage. Et il a trouvé, en Alain Rocca, un producteur qui lui a laissé la liberté et les moyens de cette pudeur. Alors quoi, tout ce qui sort de chez les productions Lazennec se transforme en or ? En tout cas, le "système Rocca" fonctionne. En commençant par produire des courts métrages, il a lié des rapports de confiance avec ses jeunes réalisateurs. Il sait les aider à exprimer, dans le confort le plus adapté à leurs besoins, leurs aspirations créatrices. Résultat : Un monde sans pitié et La Discrète. Et Aux yeux du monde, qui a le plus beau des atouts : la sincérité. "

" Dans Aux yeux du monde, l'amour est magique. Quand ils comprennent que Bruno fait tout ça par amour, les otages du car commencent à l'aimer. Nous, on le sait depuis le début, et on l'aime depuis le début. C'est pourtant un paumé, un type pas formidable et pas très malin. Mais c'est un héros.

On est avec lui tout le temps, et avec les autres, sa fiancée Juliette ( !), l'institutrice, le chauffeur du car, les enfants. Parce que ce sont eux que Rochant privilégie. Il y en a toujours un dans le cadre. Alors qu'il s'agit quand même d'un road-movie qui traverse des villages ou s'enfonce dans la forêt, jamais la caméra ne s'échappe du coeur de l'intrigue pour un plan de paysage. Et, magiquement aussi, l'autocar, si important qu'il a failli avoir l'honneur du titre, disparaît presque de l'écran. Ce n'est plus qu'un décor comme un autre. L'essentiel est ce qui se passe dedans.

— Il fallait, pour réussir cela, que les interprètes occupent l'espace, réel et imaginaire. On sait qu'Eric Rochant répète beaucoup avec ses acteurs. On sait qu'il leur écrit des scènes qui ne seront jamais tournées, et les nourrit ainsi de leur personnage. Le résultat est, encore une fois, formidable.

Bruno, c'est Yvan Attal (...) étonnant de vérité, quelle que soit l'humeur qu'il a à jouer. Hyper-nerveux quand il a peur, anéanti quand il doute, épaté par l'institutrice, inquiété par le chauffeur, touchant avec les enfants, amoureux avec Juliette. C'est subtil, c'est juste. Eblouissant.

Charlotte Gainsbourg, dans le rôle de Juliette, nous fait encore un tour de magie. On ne la voit pas beaucoup et pourtant, avec un regard de fierté, un sourire d'amour, elle est tout le temps présente. Juliette est plus raisonnable que Bruno. Emue, flattée, touchée, elle dit quand même ce que chaque spectateur a d'abord pensé : « Mais pourquoi t'as pas pris le train ? » Magnifique. Parce que c'est ça aussi, surtout, le talent de Rochant. Son écriture est précise et simple, travaillée et légère. Il suit étape par étape la psychologie de chacun de ses personnages sans jamais les lâcher. On ne les lâche pas non plus.

Kristin Scott-Thomas est une institutrice provinciale, en jupe de coton et chemisier fleuri. Partagée entre ces enfants dont elle a la responsabilité et ce grand enfant qui menace de faire une grosse bêtise. On l'avait vue plutôt séductrice ou femme forte (La Méridienne, Force majeure, Le Bal du gouverneur), elle est parfaite dans ce quasi-contre-emploi.

Le chauffeur du car, c'est le fonctionnaire. Celui qui veut arriver là où son chef lui a dit d'aller, avec un car en bon état. Petit à petit, pourtant, la magie de l'amour va l'atteindre. Un rôle presque muet pour Marc Berman, qui conserve, dans un visage impassible, un regard d'une étrange intensité. Il est simplement là, comme une menace, avec ses pensées qu'on devine à un battement de cils. Très fort.

Et puis, il y a les enfants. Bien sûr, ce sont eux les premiers qui s'attachent à Bruno. On connaît leur instinct : s'ils n'ont pas si peur, c'est que Bruno n'est pas si dangereux. Il n'y a pas de cascades, pas de pétarades, pas de pathos dans Aux yeux du monde. C'est la marque Rochant. En choisissant, pour son deuxième film, un genre, le thriller psychologique, extrêmement différent du premier, la comédie sentimentale, il garde toute son identité (...) Une fois encore, Eric Rochant nous parle légèrement de choses graves. C'est comme une pudeur. Ça ressemble au chapeau et aux lunettes noires qu'il porte sur son tournage. Et il a trouvé, en Alain Rocca, un producteur qui lui a laissé la liberté et les moyens de cette pudeur. Alors quoi, tout ce qui sort de chez les productions Lazennec se transforme en or ? En tout cas, le "système Rocca" fonctionne. En commençant par produire des courts métrages, il a lié des rapports de confiance avec ses jeunes réalisateurs. Il sait les aider à exprimer, dans le confort le plus adapté à leurs besoins, leurs aspirations créatrices. Résultat : Un monde sans pitié et La Discrète. Et Aux yeux du monde, qui a le plus beau des atouts : la sincérité. "