03 JUIN 2017

Studio Magazine - Catherine Wimphen: Chambre à part

" L'amour est une grande aven­ture. Ceux qui ne veulent pas l'admettre la souhaitent secrè­tement, ceux qui le savent la vivent avec passion (...) Une histoire d'échangisme ? Ce n'est pas si simple. En fait, rien n'est simple dans ce chassé- croisé amoureux teinté d'arnaque et d'hystérie. Marie aime-t-elle Francis? Est-elle tombée amoureuse de Martin ? Martin est-il conscient des embrouilles de Francis ? A-t-il cessé d'aimer Gert ? Gert trompe-t-elle Martin pour le recon­quérir ou est-elle vraiment tombée amoureuse de Francis ? Francis éprouve-t-il un sentiment pour Gert et de l'amitié pour Martin ou veut-il seulement s'amuser d'eux ? La vérité c'est qu'ils sont tous paumés. Aussi paumés que le serait chacun d'entre nous dans une histoire pareille, quand toutes les "valeurs" auxquelles on croyait (ou faisait semblant de croire) s'effondrent. Jacky Cukier, dont c'est le premier film, a en toute logique balayé, lui aussi, les conventions. La voix off de Michel Blanc nous met dès les premières images sur la voie de la comédie. Mais certaines images frisent le drame. On s'attend à un style narratif, mais le scénario est syncopé, découpé en "chapitres" annoncés par des "car­tons" empruntés au muet. Alors qu'une tension s'installe dans la situation, le ton sarcastique de ces "cartons" la désamorce illico. L'action se déroule au présent et le passé des personnages est comme une mosaïque éparse qu'on nous laisse le soin de reconstituer. C'est d'ailleurs une des forces du film : sa liberté de ton laisse au spectateur une grande liberté d'interprétation, voire de fantasme. Si ce refus délibéré des lois de genre donne parfois une sensation d'éparpillement un rien agaçante, finalement, hissant l'ellipse au rang de style et préférant le dialogue au mouvement, Jacky Cukier va direct à l’essen­tiel, jouant avec nos sentiments, les amorçant, les désarçonnant à l'envi, nous laissant dés­orientés, mais ravis d'être ainsi malmenés. Les dialogues, donc. Souvent abstraits mais toujours justes. Du gâteau pour les acteurs. Des acteurs que Jacky Cukier donne l'impression de privilégier, dans tous ses désirs de filmer. Ça frôle le Blier parfois, excusez du peu. Comme dans cette scène où Michel Blanc, à bout de nerfs, malheureux, se confie à des clients de bistrots attentifs. Il semble d'ailleurs que ce soit grâce à Tenue de soirée dudit Blier que les metteurs en scène osent à présent confier à Michel Blanc des rôles d'amoureux, voire de séducteurs. Ça lui va bien, il s'y sent visiblement bien et nous offre comme un cock­tail du petit gars paumé de Marche à l'ombre et de l'amoureux transi de Monsieur Hire. L'objet de ses vœux a le sourire flamboyant, le regard malicieux et la silhouette gra­cile de Lio. Une nature qui explose à la faveur de ce rôle qui semble écrit pour elle, d'une grande fille apparemment toute simple qu'une fêlure rend désespérément mysté­rieuse. Jacques Dutronc donne à Francis cette allure dégingandée qu'il a sur scène, ce côté je-m'en-foutiste dont on se dit toujours qu'il cache un insurmontable vague à l'âme. Le mystère l'habite lui aussi, dans le bleu javelisé de son regard. Si Jacky Cukier a choisi deux comédiens également célèbres dans d'autres sphères que le cinéma pour jouer le couple perturbateur, ce n'est sû­rement pas innocent. On avait déjà remarqué Frances Barber dans Sammy et Rosie s'envoient en l'air de Stephen Frears. Dans le personnage de Gert, petite bourgeoise qui, mine de rien, vit tous ces bouleversements avec une philosophie inattendue, elle révèle une magnifique sensibilité, et la crise de nerfs qu'elle pique lorsqu'elle prend conscience de l'attirance de son mari pour Marie est un grand moment de jeu, comme un instant volé. Espérons qu'avec ce premier film, Jackie Cukier aura le loisir de faire connaître un style qui ne ressemble à aucun autre et qui pourrait bien être le sien. "

" L'amour est une grande aven­ture. Ceux qui ne veulent pas l'admettre la souhaitent secrè­tement, ceux qui le savent la vivent avec passion (...)

Une histoire d'échangisme ? Ce n'est pas si simple. En fait, rien n'est simple dans ce chassé- croisé amoureux teinté d'arnaque et d'hystérie. Marie aime-t-elle Francis? Est-elle tombée amoureuse de Martin ? Martin est-il conscient des embrouilles de Francis ? A-t-il cessé d'aimer Gert ? Gert trompe-t-elle Martin pour le recon­quérir ou est-elle vraiment tombée amoureuse de Francis ? Francis éprouve-t-il un sentiment pour Gert et de l'amitié pour Martin ou veut-il seulement s'amuser d'eux ? La vérité c'est qu'ils sont tous paumés. Aussi paumés que le serait chacun d'entre nous dans une histoire pareille, quand toutes les "valeurs" auxquelles on croyait (ou faisait semblant de croire) s'effondrent.

Jacky Cukier, dont c'est le premier film, a en toute logique balayé, lui aussi, les conventions. La voix off de Michel Blanc nous met dès les premières images sur la voie de la comédie. Mais certaines images frisent le drame. On s'attend à un style narratif, mais le scénario est syncopé, découpé en "chapitres" annoncés par des "car­tons" empruntés au muet. Alors qu'une tension s'installe dans la situation, le ton sarcastique de ces "cartons" la désamorce illico. L'action se déroule au présent et le passé des personnages est comme une mosaïque éparse qu'on nous laisse le soin de reconstituer. C'est d'ailleurs une des forces du film : sa liberté de ton laisse au spectateur une grande liberté d'interprétation, voire de fantasme. Si ce refus délibéré des lois de genre donne parfois une sensation d'éparpillement un rien agaçante, finalement, hissant l'ellipse au rang de style et préférant le dialogue au mouvement, Jacky Cukier va direct à l’essen­tiel, jouant avec nos sentiments, les amorçant, les désarçonnant à l'envi, nous laissant dés­orientés, mais ravis d'être ainsi malmenés.

Les dialogues, donc. Souvent abstraits mais toujours justes. Du gâteau pour les acteurs. Des acteurs que Jacky Cukier donne l'impression de privilégier, dans tous ses désirs de filmer. Ça frôle le Blier parfois, excusez du peu. Comme dans cette scène où Michel Blanc, à bout de nerfs, malheureux, se confie à des clients de bistrots attentifs. Il semble d'ailleurs que ce soit grâce à Tenue de soirée dudit Blier que les metteurs en scène osent à présent confier à Michel Blanc des rôles d'amoureux, voire de séducteurs. Ça lui va bien, il s'y sent visiblement bien et nous offre comme un cock­tail du petit gars paumé de Marche à l'ombre et de l'amoureux transi de Monsieur Hire. L'objet de ses vœux a le sourire flamboyant, le regard malicieux et la silhouette gra­cile de Lio. Une nature qui explose à la faveur de ce rôle qui semble écrit pour elle, d'une grande fille apparemment toute simple qu'une fêlure rend désespérément mysté­rieuse. Jacques Dutronc donne à Francis cette allure dégingandée qu'il a sur scène, ce côté je-m'en-foutiste dont on se dit toujours qu'il cache un insurmontable vague à l'âme. Le mystère l'habite lui aussi, dans le bleu javelisé de son regard.

Si Jacky Cukier a choisi deux comédiens également célèbres dans d'autres sphères que le cinéma pour jouer le couple perturbateur, ce n'est sû­rement pas innocent. On avait déjà remarqué Frances Barber dans Sammy et Rosie s'envoient en l'air de Stephen Frears. Dans le personnage de Gert, petite bourgeoise qui, mine de rien, vit tous ces bouleversements avec une philosophie inattendue, elle révèle une magnifique sensibilité, et la crise de nerfs qu'elle pique lorsqu'elle prend conscience de l'attirance de son mari pour Marie est un grand moment de jeu, comme un instant volé.

Espérons qu'avec ce premier film, Jackie Cukier aura le loisir de faire connaître un style qui ne ressemble à aucun autre et qui pourrait bien être le sien. "