08 JUIN 2021

Sur la route avec Cimino

Dans un beau documentaire, Jean-Baptiste Thoret* plonge dans la filmographie de Michael Cimino, cinéaste épique à la marge du Nouvel Hollywood, entre grands espaces américains, mélancolie et folle exigence. Entretien.

Media

Comment avez-vous rencontré Michael Cimino ?

Jean-Baptiste Thoret : En 2009, les Cahiers du cinéma cherchaient à publier de longs portraits, à la manière de ceux du New Yorker. Je propose Michael Cimino, qui n’a pas tourné depuis quinze ans. Pour retrouver sa trace, j’entame des discussions avec sa muse et productrice Joann Carelli. Quelques mois plus tard, à l’issue d’un dîner à Los Angeles qui s’éternise, Cimino me dit : “Si vous voulez comprendre mes films, il faut prendre la route.” Il organise un road-trip entre la Californie et le Colorado : huit jours au cours desquels je l’enregistre sur dictaphone, en voiture ou dans les motels, la nuit – il est insomniaque. Je reviens avec près de quarante heures d’entretiens sur l’Amérique, ses films, les classiques. Ce contemporain du Nouvel Hollywood estimait que son cinéma conversait avec Ford, Vidor, Lean ou Visconti, qu’il adorait.

 

Que vouliez-vous montrer avec ce documentaire ?

Jean-Baptiste Thoret : Quelques années après la disparition de Cimino, en 2016, je suis parti de cette matière sonore et j’ai repris la route, en écho à ce rapport fantasmé que luimême entretenait avec son pays : cette poursuite d’un mirage qui fait la beauté de son cinéma. Je voulais réaliser un film de fantômes, en revisitant ses lieux de tournage dont ceux, quarante ans après, de Voyage au bout de l’enfer dans l’Ohio et la petite ville sidérurgique de Mingo Junction, hantés par sa présence. J’ai rencontré d’anciens figurants, de la séquence du mariage notamment, ces gens dont Michael Cimino ne cessait de me répéter l’importance et auxquels on s’attache dans son cinéma, comme dans des films de famille. J’ai aussi donné la parole à ceux qui, comme Oliver Stone, tempèrent ma vision. Je ne pensais pas faire le tour du personnage mais partir à sa recherche, en sachant qu’à la fin il allait m’échapper.

 

Comment définiriez-vous son cinéma ?

Jean-Baptiste Thoret : C’est un cinéma de l’entre-deux, l’Amérique et la vieille Europe, le passé et le présent... L’anachronisme lui donne sa dimension élégiaque et mélancolique. Dès son premier film Le canardeur en 1974, il va chercher Clint Eastwood, ignoré à l’époque, et lui fait dire cette phrase − “Tu arrives dix ans trop tard” − qui résonne comme un manifeste. D’un perfectionnisme fou, Cimino n’est pas un cinéaste de son temps. Gouffre financier et symbolique, le chef-d’œuvre La porte du paradis (1980), l’un des derniers films hollywoodiens d’une telle ampleur, clôt une époque et il en paie le prix. L’autre question qui traverse son œuvre, c’est le peuple américain, cet ensemble de communautés regroupées autour de la bannière étoilée : comment, après des crises successives − droits civiques, guerre du Viêtnam… −, on refonde l’Amérique.

 

Pourquoi a-t-il été écarté du système hollywoodien ?

Jean-Baptiste Thoret : Il le dit lui-même : le système l’a autant écarté qu’il s’en est éloigné au nom de sa radicalité. Oublieux des questions matérielles, Cimino ne sait pas faire de concessions. Mais en sept films − sans compter ceux qu’il avait en tête, d’un western en langue sioux à une adaptation de La condition humaine de Malraux −, il a marqué l’histoire du cinéma. Aujourd’hui, nombre de réalisateurs se réclament de lui, de ce souffle à joindre l’intime au collectif, le home movie à la fresque, la petite à la grande histoire.

 

Propos recueillis par Sylvie Dauvillier

 

* Jean-Baptiste Thoret est l’auteur de Michael Cimino – Les voix perdues de l’Amérique (Flammarion, 2013).