12 JANVIER 2021

Sur les traces du coffre sacré

Au cœur d’un passionnant documentaire, Thomas Römer, bibliste et administrateur du Collège de France, codirige une mission scientifique pour mieux comprendre l’histoire de la mythique Arche d’alliance, le coffre qui, selon l’Ancien Testament, aurait contenu les tables de la Loi. Entretien.

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Pourquoi l’Arche d’alliance continue-t-elle de susciter une telle fascination ?

Thomas Römer : C’est en partie lié, je crois, à sa disparition mystérieuse, qui intrigue puisqu’elle n’est plus mentionnée dans la Bible après la destruction du Premier Temple par les Babyloniens en 587 avant notre ère. Toutes sortes de théories se sont développées autour du destin de ce coffre insaisissable. Son transfert en Éthiopie a été évoqué, ainsi que son enterrement au fond du lac de Galilée. On l’a aussi cherché sous la cathédrale de Chartres et même les nazis s’y sont intéressés. Plus récemment, les aventures d’Indiana Jones ont contribué à nourrir ce fantasme millénaire.

 

Qu’en dit la Bible ?

Thomas Römer : Selon le récit biblique, cette arche, qui contient les tables de la Loi reçues par Moïse sur le mont Sinaï, est transportée par les Hébreux lors de la conquête de la Terre promise jusqu’au sanctuaire de Silo, dans le nord d’Israël. Lors d’une guerre, les Philistins s’en emparent, mais elle leur attire une telle série de désastres qu’ils se résignent à la rendre aux Hébreux. Elle parvient ainsi à la ville israélite de Bet Shemesh où la colère divine s’abat à nouveau sur les habitants, qui auraient tenté de l’ouvrir. Pour s’en débarrasser, ils l’envoient sur la colline de Kiriath-Jearim − le site que nous avons fouillé − où elle est gardée par le prêtre Abiathar, avant que le roi David ne l’y fasse chercher pour l’installer à Jérusalem au Xe  siècle avant notre ère. Salomon, le fils de David, enfin, l’aurait placée dans le saint du saint du Temple qu’il a construit.

 

Pourquoi vous lancer sur ses traces ?

Thomas Römer : L’idée n’était pas de retrouver l’Arche. Il s’agissait de comprendre le rôle de ce magnifique site biblique, encore jamais exploré, de KiriathJearim, dans un pays, Israël, certainement le plus fouillé au monde. L’absence d’investigations archéologiques sur cette colline s’explique par la présence au sommet d’un monastère et d’une église, protégés par la France, puisque des sœurs d’un ordre français, qu’il a fallu convaincre, s’y sont installées dans les années 1920, sur les ruines d’un sanctuaire byzantin.

 

N’est-ce pas périlleux de s’attaquer à l’histoire biblique en Israël ?

Thomas Römer : Il a fallu rassurer les uns et les autres, mais l’implication de l’université laïque de Tel-Aviv, à laquelle appartient mon collègue, l’archéologue réputé Israël Finkelstein, avec lequel je coordonne cette mission, apportait la garantie d’une approche scientifique. Nous abordons la Bible comme un document, un puzzle élaboré au fil de différents contextes historiques et idéologiques que nous interrogeons. Bien sûr, déconstruire ce récit n’est pas toujours bien accueilli, mais les religieux, même orthodoxes, ont des réactions plus nuancées qu’on ne le croit.

 

Qu’avez-vous mis au jour au cours de cette mission ?

Thomas Römer : Des photos aériennes de la colline laissaient déjà deviner une plate-forme façonnée par l’homme. Notre découverte majeure concerne un mur de fortification trahissant la présence d’un ancien bâtiment ou d’un sanctuaire, qui aurait accueilli l’Arche, légitimant le lieu sur le plan religieux. Les hautes technologies, comme la mesure de l’exposition des pierres à la lumière, permettent de le dater du VIIIe  siècle avant notre ère, soit près de deux siècles après la date de l’installation de l’Arche à Jérusalem par David, selon le récit biblique. À l’époque, deux royaumes coexistaient : celui du Nord, Israël, et celui du Sud, Juda, avec Jérusalem pour capitale. Le mur de Kiriath-Jearim a probablement été construit par le roi Jéroboam II, sous le règne duquel le royaume du Nord a connu sa plus forte expansion. Selon moi, c’est Josias, roi de Juda, profitant plus tard de la disparition du royaume du Nord, qui, au VIIe  siècle avant notre ère, fait transférer l’Arche à Jérusalem, mais il dicte à ses scribes qu’elle s’y trouve depuis David, le fondateur sacré de la dynastie du Sud. La Bible écrite dans cette perspective “sudiste” légitime ainsi l’autorité politico-religieuse de Jérusalem. Cette hypothèse reste à vérifier.

 

Ce récit a-t-il aussi vocation à accompagner l’avènement du monothéisme ?

Thomas Römer : Pas dans l’immédiat, mais la mise en valeur de Jérusalem en tant que seul sanctuaire légitime va contribuer à construire l’idée que Yahvé, le dieu de cette cité, est le seul qu’Israël doit vénérer. On passe d’abord par une étape de monolâtrie, où l’on ne nie pas encore expressément les autres cultes. Le monothéisme se mettra en place plus tard, après la destruction du Temple.

 

Dans le film, vous êtes ému lors de l’exhumation d’une petite figurine…

Thomas Römer : C’est, semble-t-il, la tête d’une statuette d’Ashera, une divinité féminine des royaumes d’Israël et surtout de Juda, qui, au regard de sa taille, servait dans le cadre du culte familial. Elle témoigne ainsi d’une activité religieuse dans les maisons autour du site et donc aussi de l’importance de ce lieu. Il est rare de trouver de petits vestiges aussi anciens dans des terrains en terrasse, l’érosion ayant fait son œuvre. Nous espérons en apprendre davantage à la faveur d’une troisième saison de fouilles.

 

Propos recueillis par Sylvie Dauvillier