23 JANVIER 2018

Télérama - Agnès Bozon-Verduraz: La Loi du collège

" Pourquoi un collège, pourquoi en banlieue ? Parce que le collège, qui accueille les eléves de la sixième à la troisième, est la zone de tempête du système scolaire, puisqu'il est chargé du sale boulot « orienter » les élèves. Et que la banlieue est à notre société ce que l'enfant a problèmes est à sa famille, le reflet grossissant de ses maux et de ses bourdes. De septembre 1992 à juin 1993 donc, la réalisatrice s'est rendue au collège tous les matins, avec seulement un preneur de son. Ils disposaient d'un QG ouvert a tous, minuscule, mais situe à un point stratégique, a côté du bureau du principal, afin de savoir ce qui se tramait. Sentinelle bondissante mais discrète. Mariana a filmé, sans commentaires ni interviews, les acteurs en situation : en train d'enseigner, de chahuter, de sermonner, de sanctionner, d'étudier, de protester... On n'apprend rien mais on redécouvre tout, dans La Loi du collège (...) Cette observation passionnée, tenace, sur [une année scolaire entière] met à nu les (dys)fonctionnements invisibles à force d'être entrés dans les moeurs : tous les ingrédients de cet "effet collège" dont s'étonnent nombre d'instits. « On a des mômes en CM2, pas forcément bons élèves, mais gentils, disent-ils. Et ensuite, on nous en donne des échos épouvantables du genre : ce sont des sauvages, ils ne fichent rien ». Dès le premier épisode, le bruit vous saute à la gorge et ne vous lâche plus. même, surtout, dans les salles de classe. Les gamins chantonnent, ricanent, raclent les pieds, s'interpellent, tandis que, debout, le prof s'époumone. Un collège, on a tendance a l'oublier, c'est d'abord cinq cents corps pré-puberes en cage, six à sept heures par jour (...) Les quatrièmes et troisièmes « techno » (qui sont au cœur de La Loi du collège) savent déjà qu'ils sont hors course dans la grande compète (leurs parents aussi, même lorsqu'ils sont analphabètes). Et pourtant, on ne leur propose que la poursuite d’une scolarité routinière dont ils ne voient pas le but. Là aussi, l'école en rajoute dans l’agression inconsciente que les potaches renvoient, chacun à leur manière. Abdel s'enfonce dans un désespoir muet. Mehdi dans une révolte bruyante... Pourtant, parce que la vie est ce qu'elle est, entêtée. on trouve aussi de bons élèves a Garcia-Lorca qui font du latin et qui auront leur bac C. « Il suffit parfois d'un bon prof et d'une famille stable pour qu’un enfant réussisse », affirment Bernard Chariot et Jean-Yves Rochex, chercheurs en sciences de l'éducation a Paris-VIII. Ils soulignent l'extrême diversité des parcours scolaires (en banlieue et ailleurs), « d'un bâtiment à l'autre, d'un escalier à l'autre, d’une famille à l'autre, dans la même famille, selon la place dans la fratrie » (...) Le principal résume son travail en trois cercles, stylo en main : « Dans le petit, vous avez le 1 % d'irrécupérables, dans le second, les 9% qui ont ce qu on appelle des problèmes de comportement. Et dans le grand cercle, les 90 % qui respectent les règles. » Ce qu'il nomme la majorité oubliée. « Je me bats pour faire passer les 9 % dans le grand cercle et surtout pour éviter qu'ils tombent dans le petit. C'est-à-dire la délinquance. Est-ce pour cela qu'il a essuyé un tir de 22 long rifle, malmené son chien, brûlé son linge qui séchait ? Il dérange parce qu'il s'oppose, pied à pied, à la loi du plus fort, mais sans oublier jamais qu’il a affaire à des enfants. Quand il parle, on l’écoute, car il ose dire, d'une voix nette, ce qu'il croit. On lui doit, dans le film, une scène à couper le souffle. Quand Duattis découvre que Victor est la tête de Turc de ses camarades, il affronte la classe, en plein cours : « il y a parmi vous des Noirs et des Blancs, des cheveux bruns et des cheveux blonds, des cheveux lisses et des cheveux crépus. » Suit une vibrante déclaration des droits de l’homme que, à l'instar des vingt-cinq petits durs de la troisième techno, le spectateur écoute sans moufter : « Le droit premier est de pouvoir être ce qu'on est. » Il y a du choc de valeurs dans l’air..."

" Pourquoi un collège, pourquoi en banlieue ? Parce que le collège, qui accueille les eléves de la sixième à la troisième, est la zone de tempête du système scolaire, puisqu'il est chargé du sale boulot « orienter » les élèves. Et que la banlieue est à notre société ce que l'enfant a problèmes est à sa famille, le reflet grossissant de ses maux et de ses bourdes.

De septembre 1992 à juin 1993 donc, la réalisatrice s'est rendue au collège tous les matins, avec seulement un preneur de son. Ils disposaient d'un QG ouvert a tous, minuscule, mais situe à un point stratégique, a côté du bureau du principal, afin de savoir ce qui se tramait. Sentinelle bondissante mais discrète. Mariana a filmé, sans commentaires ni interviews, les acteurs en situation : en train d'enseigner, de chahuter, de sermonner, de sanctionner, d'étudier, de protester...

On n'apprend rien mais on redécouvre tout, dans La Loi du collège (...) Cette observation passionnée, tenace, sur [une année scolaire entière] met à nu les (dys)fonctionnements invisibles à force d'être entrés dans les moeurs : tous les ingrédients de cet "effet collège" dont s'étonnent nombre d'instits. « On a des mômes en CM2, pas forcément bons élèves, mais gentils, disent-ils. Et ensuite, on nous en donne des échos épouvantables du genre : ce sont des sauvages, ils ne fichent rien ».

Dès le premier épisode, le bruit vous saute à la gorge et ne vous lâche plus. même, surtout, dans les salles de classe. Les gamins chantonnent, ricanent, raclent les pieds, s'interpellent, tandis que, debout, le prof s'époumone. Un collège, on a tendance a l'oublier, c'est d'abord cinq cents corps pré-puberes en cage, six à sept heures par jour (...)

Les quatrièmes et troisièmes « techno » (qui sont au cœur de La Loi du collège) savent déjà qu'ils sont hors course dans la grande compète (leurs parents aussi, même lorsqu'ils sont analphabètes). Et pourtant, on ne leur propose que la poursuite d’une scolarité routinière dont ils ne voient pas le but. Là aussi, l'école en rajoute dans l’agression inconsciente que les potaches renvoient, chacun à leur manière. Abdel s'enfonce dans un désespoir muet. Mehdi dans une révolte bruyante...

Pourtant, parce que la vie est ce qu'elle est, entêtée. on trouve aussi de bons élèves a Garcia-Lorca qui font du latin et qui auront leur bac C. « Il suffit parfois d'un bon prof et d'une famille stable pour qu’un enfant réussisse », affirment Bernard Chariot et Jean-Yves Rochex, chercheurs en sciences de l'éducation a Paris-VIII. Ils soulignent l'extrême diversité des parcours scolaires (en banlieue et ailleurs), « d'un bâtiment à l'autre, d'un escalier à l'autre, d’une famille à l'autre, dans la même famille, selon la place dans la fratrie » (...)

Le principal résume son travail en trois cercles, stylo en main : « Dans le petit, vous avez le 1 % d'irrécupérables, dans le second, les 9% qui ont ce qu on appelle des problèmes de comportement. Et dans le grand cercle, les 90 % qui respectent les règles. » Ce qu'il nomme la majorité oubliée. « Je me bats pour faire passer les 9 % dans le grand cercle et surtout pour éviter qu'ils tombent dans le petit. C'est-à-dire la délinquance.

Est-ce pour cela qu'il a essuyé un tir de 22 long rifle, malmené son chien, brûlé son linge qui séchait ? Il dérange parce qu'il s'oppose, pied à pied, à la loi du plus fort, mais sans oublier jamais qu’il a affaire à des enfants. Quand il parle, on l’écoute, car il ose dire, d'une voix nette, ce qu'il croit.

On lui doit, dans le film, une scène à couper le souffle. Quand Duattis découvre que Victor est la tête de Turc de ses camarades, il affronte la classe, en plein cours : « il y a parmi vous des Noirs et des Blancs, des cheveux bruns et des cheveux blonds, des cheveux lisses et des cheveux crépus. » Suit une vibrante déclaration des droits de l’homme que, à l'instar des vingt-cinq petits durs de la troisième techno, le spectateur écoute sans moufter : « Le droit premier est de pouvoir être ce qu'on est. » Il y a du choc de valeurs dans l’air..."