03 JUIN 2017

Télérama - Claude-Marie Trémois, 23/02/1982: Documenteur

" ... Alors Agnès Varda a tourné l'envers de Murs Murs : Documenteur. Non plus le regard d'Agnès sur Los Angeles. Mais le regard d'Agnès sur son propre regard. Pardon, sur le regard d'une femme qui lui ressemble comme une sœur. Car Documenteur est le film de la pudeur. La dernière image de Murs Murs nous montre un certain mural et l'on voit une photo d’Agnès Varda jouant au ballon avec son fils, Mathieu Demy. La première image de Documenteur représente ce même mural et l’on voit Emilie (Sabine Mamou, la monteuse d’Agnès) jouer au ballon avec son fils Martin (Mathieu Demy). « Murs Murs, dit Agnès Varda. est un vrai documentaire coloré et ensoleillé sur une ville à la recherche de son identité. Documenteur est un faux documentaire ombreux, bleu, gris et mauve, sur une femme qui a perdu son identité et ne la retrouve, diffuse, qu'à travers les autres ». Dodo, cucu, maman, vas-tu te taire, ces extraits condensés du dialogue sont la genèse du titre du film : Documentaire, devenu, par refus d'exhibitionnisme, Documenteur. Quelques moments de la vie d’une Française exilée à Los Angeles. Emilie est la secrétaire d’une comédienne dont on n'entend que la voix : celle de Delphine Scvrie. Elle est seule avec son petit garçon. Et chacun d'eux va apprendre — sans cesser de s'aimer l'un l'autre — à apprivoiser sa solitude.« Je ne veux pas dormir seul », dit l'enfant Martin. « Ce n'est pas un mot d'enfant, dit Agnès Varda. mais un mot d'humanité ». Et Martin ajoute : « Et si je ne suis pas content, qu'est-ce qu'on va faire ? ». Pour passer du je au on, semble nous dire Agnès Varda, il faut se taire et se fondre dans la foule de la fête mexicaine qui clôt le film. Il y a dans ce poème une qualité de silence et d'émotion extraordinaire. Les personnages ne jouent pas. Ils représentent — tels des signes abstraits — Agnès et son fils. Mais aussi, mais surtout, vous, moi, chacun de nous. A force d’être subjectif Documenteur devient universel. Un film de la famille des Resnais, des Duras, des Godard. Agnés Varda y établit, entre l’image et le son, la plus précise des alchimies. Dans la vie — contrairement à ce que veut nous laisser croire le réalisme — nous ne sommes, le plus souvent, sensibles qu'à un seul son, sélectionné selon notre humeur. Aussi, quand Emilie tape à la machine devant l’océan, on entend tantôt le bruit de la mer, tantôt celui de la machine, mais jamais les deux ensemble. Documenteur est la réplique en creux de Murs Murs. Et ce creux permet à chacun d’y glisser ses propres émotions. Tous deux sont des S.O.S. Les murals de Murs Murs sont des cris colorés, jetés par des solitaires à la foule indifférente. (« Murals, dit Agnès Varda. ça veut dire : « J'existe et je laisse un signe qui me désigne »). Les mots de tous les jours prononcés par la femme et l’enfant de Documenteur, perdus dans une ville anonyme, sont autant d'appels silencieux qui nous bouleversent. Comme dans La Pointe courte (l’homme et la femme), Cléo de cinq à sept (les bien-portants et la morte en sursis), L'Une chante, l'autre pas (les deux copines). Agnès Varda. dans ces deux films, oppose deux mondes irréductibles l'un à l’autre (Los Angeles et les exilés) mais qui agissent l'un sur l'autre à la manière de révélateurs. De l'opposition de ces deux mondes, elle rêve encore de tirer un troisième film :une comédie de mœurs de facture plus traditionnelle, où on retrouverait Delphine Seyrig mariée à un Américain et ayant toujours Emilie comme secrétaire.Mais trouvera-t-elle des capitaux, puisqu’on ne la juge pas « bancable » ?"

" ... Alors Agnès Varda a tourné l'envers de Murs Murs : Documenteur. Non plus le regard d'Agnès sur Los Angeles. Mais le regard d'Agnès sur son propre regard. Pardon, sur le regard d'une femme qui lui ressemble comme une sœur.

Car Documenteur est le film de la pudeur. La dernière image de Murs Murs nous montre un certain mural et l'on voit une photo d’Agnès Varda jouant au ballon avec son fils, Mathieu Demy. La première image de Documenteur représente ce même mural et l’on voit Emilie (Sabine Mamou, la monteuse d’Agnès) jouer au ballon avec son fils Martin (Mathieu Demy).

« Murs Murs, dit Agnès Varda. est un vrai documentaire coloré et ensoleillé sur une ville à la recherche de son identité. Documenteur est un faux documentaire ombreux, bleu, gris et mauve, sur une femme qui a perdu son identité et ne la retrouve, diffuse, qu'à travers les autres ».

Dodo, cucu, maman, vas-tu te taire, ces extraits condensés du dialogue sont la genèse du titre du film : Documentaire, devenu, par refus d'exhibitionnisme, Documenteur. Quelques moments de la vie d’une Française exilée à Los Angeles. Emilie est la secrétaire d’une comédienne dont on n'entend que la voix : celle de Delphine Scvrie. Elle est seule avec son petit garçon. Et chacun d'eux va apprendre — sans cesser de s'aimer l'un l'autre — à apprivoiser sa solitude.« Je ne veux pas dormir seul », dit l'enfant Martin. « Ce n'est pas un mot d'enfant, dit Agnès Varda. mais un mot d'humanité ». Et Martin ajoute : « Et si je ne suis pas content, qu'est-ce qu'on va faire ? ». Pour passer du je au on, semble nous dire Agnès Varda, il faut se taire et se fondre dans la foule de la fête mexicaine qui clôt le film.

Il y a dans ce poème une qualité de silence et d'émotion extraordinaire. Les personnages ne jouent pas. Ils représentent — tels des signes abstraits — Agnès et son fils. Mais aussi, mais surtout, vous, moi, chacun de nous. A force d’être subjectif Documenteur devient universel. Un film de la famille des Resnais, des Duras, des Godard. Agnés Varda y établit, entre l’image et le son, la plus précise des alchimies. Dans la vie — contrairement à ce que veut nous laisser croire le réalisme — nous ne sommes, le plus souvent, sensibles qu'à un seul son, sélectionné selon notre humeur. Aussi, quand Emilie tape à la machine devant l’océan, on entend tantôt le bruit de la mer, tantôt celui de la machine, mais jamais les deux ensemble.

Documenteur est la réplique en creux de Murs Murs. Et ce creux permet à chacun d’y glisser ses propres émotions. Tous deux sont des S.O.S. Les murals de Murs Murs sont des cris colorés, jetés par des solitaires à la foule indifférente. (« Murals, dit Agnès Varda. ça veut dire : « J'existe et je laisse un signe qui me désigne »). Les mots de tous les jours prononcés par la femme et l’enfant de Documenteur, perdus dans une ville anonyme, sont autant d'appels silencieux qui nous bouleversent.
 
Comme dans La Pointe courte (l’homme et la femme), Cléo de cinq à sept (les bien-portants et la morte en sursis), L'Une chante, l'autre pas (les deux copines). Agnès Varda. dans ces deux films, oppose deux mondes irréductibles l'un à l’autre (Los Angeles et les exilés) mais qui agissent l'un sur l'autre à la manière de révélateurs.
 
De l'opposition de ces deux mondes, elle rêve encore de tirer un troisième film :une comédie de mœurs de facture plus traditionnelle, où on retrouverait Delphine Seyrig mariée à un Américain et ayant toujours Emilie comme secrétaire.Mais trouvera-t-elle des capitaux, puisqu’on ne la juge pas « bancable » ?"