03 JUIN 2017

Télérama - Jacques Morice: Le Grand Soir

" Insuffler un peu de mythologie (poétique, politique, cinématographique) quand tout part à vau-l'eau : tel est le défi du cinéma, devenu indispensable, de Delépine et Kervern. Indispensable parce que roboratif, même si l'énergie est celle du désespoir. En filmant le délire et les mésaventures de leurs pieds nickelés destroy dans ce décor vilain de parkings, de ronds-points et d'hypermarchés, les réalisateurs réinventent, via le prisme d'une folie plus ou moins douce, la langue et l'imaginaire de la France populaire. Le Grand Soir n'est pas un film parfait, mais il déborde de vie et d'idées bricolées — joli, le slogan punk réalisé grâce aux lettres volées des grandes enseignes. Il donne une impression d'expérimentation joyeuse et spontanée. Delépine et Kervern semblent improviser comme des musiciens, en multipliant les cadrages bizarres (sur la crête de Poelvoorde sculptée à la bière), en alternant simplicité et prouesse : ce long plan-séquence où Not vante les mérites professionnels de son frangin à une vendeuse, alors qu'on entraperçoit dans l'arrière-plan le dit frangin ivre mort, en train de faire n'importe quoi. La révolte anarchisante, l'alcool, l'absurde, le retour à l'enfance (celle des Indiens et des cow-boys) : tout ce qui s'écarte du droit chemin est bon à prendre et à exalter. Pour « le grand soir », en revanche, il faudra repasser. A défaut, Delépine et Kervern fomentent un « grand écart » entre générosité et pulsion destructrice, entre rire et rage nihiliste. Difficile, donc, de savoir si le fond de l'air est rouge, noir, ou orangé comme un feu de paille. On aime y voir un seul mot d'ordre : mieux vaut brûler sa vie que l'épargner. En coupant l'herbe sous le pied des profiteurs."

" Insuffler un peu de mythologie (poétique, politique, cinématographique) quand tout part à vau-l'eau : tel est le défi du cinéma, devenu indispensable, de Delépine et Kervern. Indispensable parce que roboratif, même si l'énergie est celle du désespoir. En filmant le délire et les mésaventures de leurs pieds nickelés destroy dans ce décor vilain de parkings, de ronds-points et d'hypermarchés, les réalisateurs réinventent, via le prisme d'une folie plus ou moins douce, la langue et l'imaginaire de la France populaire. Le Grand Soir n'est pas un film parfait, mais il déborde de vie et d'idées bricolées — joli, le slogan punk réalisé grâce aux lettres volées des grandes enseignes.

Il donne une impression d'expérimentation joyeuse et spontanée. Delépine et Kervern semblent improviser comme des musiciens, en multipliant les cadrages bizarres (sur la crête de Poelvoorde sculptée à la bière), en alternant simplicité et prouesse : ce long plan-séquence où Not vante les mérites professionnels de son frangin à une vendeuse, alors qu'on entraperçoit dans l'arrière-plan le dit frangin ivre mort, en train de faire n'importe quoi.

La révolte anarchisante, l'alcool, l'absurde, le retour à l'enfance (celle des Indiens et des cow-boys) : tout ce qui s'écarte du droit chemin est bon à prendre et à exalter. Pour « le grand soir », en revanche, il faudra repasser. A défaut, Delépine et Kervern fomentent un « grand écart » entre générosité et pulsion destructrice, entre rire et rage nihiliste. Difficile, donc, de savoir si le fond de l'air est rouge, noir, ou orangé comme un feu de paille. On aime y voir un seul mot d'ordre : mieux vaut brûler sa vie que l'épargner. En coupant l'herbe sous le pied des profiteurs."