03 JUIN 2017

Télérama - Jean Coutances: L'Emigré

" C'est un film merveilleux (...) L'Emigré réveille ainsi la soif de connaître et la faculté d'être étonné par le monde. C'est un film qui permet de croire en l'autre et de croire au cinéma. Sans pour autant être solennel et pontifiant. Car la mise en scène se situe à hauteur des hommes, de leurs faiblesses et de leurs forces. C'est un film qui avance à visage découvert. Souriant et naïf. Innocent et malicieux. A l'instar de Ram, son personnage central. Ils se comptent sur les doigts d'une main, les cinéastes capables de se lancer dans une telle entreprise : un récit inspiré de la vie de Joseph, fils de Jacob, et transposé dans l'Egypte des pharaons. Il s'agit d'un récit initiatique (...) périple au cours duquel il devient successivement un esclave parmi d'autres, le favori du haut dignitaire Amihar, puis le sauveur provisoire de tout un peuple, affamé et opprimé. Le désir ­ toujours inassouvi ­ fait naître chaque scène. Chahine approche les corps (masculins et féminins) de manière voluptueuse, les frôle sans s'attarder. Il attise les paysages, il offre à chaque élément un rôle. Le sable crisse et aveugle, les pierres brillent et se fracassent, l'eau perle sur la peau. C'est un monde physique et instinctif. Sensuel et violent. Où résonnent aussi les coups subis par les gens du peuple, victimes des classes dominantes et des luttes de pouvoir. La reconstitution historique compte moins que la peinture des sentiments. L'Emigré tisse ainsi des liens très forts entre ses personnages (...) Tout est suggéré par l'intensité des regards et le rapport des personnages dans l'espace. On se parle et on se touche des yeux. A distance. A l'exemple de cette scène d'adieux magnifique, silencieuse, entre Ram et Simihit. Un escalier les sépare. Elle, tout en haut, chancelle. Lui, en bas, la fixe comme on contemple une déesse. Humaine et inaccessible. Plus le film avance, plus il gagne en profondeur, plus l'Egypte devient polymorphe. Pour la découvrir, Ram sert de passeur. Souvent involontaire. Normal : Ram est mû par une véritable innocence. L'action est rapide ; le récit, elliptique. Tout l'art de Chahine est là : dans sa fougue, sa manière de ne jamais tenir en place, parce que d'autres images, d'autres émotions l'attendent. Lui et son personnage. L'Emigré témoigne d'un amour universel. Sa belle idée est de filmer l'Egypte à travers le regard d'un étranger. Ce que sont Ram et Simihit. De fait, la vision de Chahine est cosmopolite. Bien que le film soit profondément arabe, on a l'impression d'y voir un monde multiple où cohabitent des figures d'autres civilisations, d'autres époques. Amihar ressemble à un centurion romain ; et Simihit, à une figure grecque. Par bien des aspects, L'Emigré rappelle les grands films hollywoodiens des années 50 (La Terre des pharaons, de Hawks, par exemple, magnifique et sous-estimé), que Chahine affectionne particulièrement. En fait, L'Emigré, c'est à la fois un péplum biblique, un mélo, un film d'aventures, un film social, une fable. Le réalisateur allie les visions fantasmatiques et réalistes, mythologiques et intimistes. Bref, il donne vie à l'idée même de métissage. Preuve, s'il en fallait une, que ce grand film populaire est un hymne à la tolérance, au respect de toutes les cultures. Ce n'est pas tous les jours que le cinéma offre un tel souffle de générosité. Et, pour tout dire, de liberté"

" C'est un film merveilleux (...) L'Emigré réveille ainsi la soif de connaître et la faculté d'être étonné par le monde. C'est un film qui permet de croire en l'autre et de croire au cinéma. Sans pour autant être solennel et pontifiant. Car la mise en scène se situe à hauteur des hommes, de leurs faiblesses et de leurs forces. C'est un film qui avance à visage découvert. Souriant et naïf. Innocent et malicieux. A l'instar de Ram, son personnage central.

Ils se comptent sur les doigts d'une main, les cinéastes capables de se lancer dans une telle entreprise : un récit inspiré de la vie de Joseph, fils de Jacob, et transposé dans l'Egypte des pharaons. Il s'agit d'un récit initiatique (...) périple au cours duquel il devient successivement un esclave parmi d'autres, le favori du haut dignitaire Amihar, puis le sauveur provisoire de tout un peuple, affamé et opprimé. Le désir ­ toujours inassouvi ­ fait naître chaque scène.

Chahine approche les corps (masculins et féminins) de manière voluptueuse, les frôle sans s'attarder. Il attise les paysages, il offre à chaque élément un rôle. Le sable crisse et aveugle, les pierres brillent et se fracassent, l'eau perle sur la peau. C'est un monde physique et instinctif. Sensuel et violent. Où résonnent aussi les coups subis par les gens du peuple, victimes des classes dominantes et des luttes de pouvoir. La reconstitution historique compte moins que la peinture des sentiments. L'Emigré tisse ainsi des liens très forts entre ses personnages (...)

Tout est suggéré par l'intensité des regards et le rapport des personnages dans l'espace. On se parle et on se touche des yeux. A distance. A l'exemple de cette scène d'adieux magnifique, silencieuse, entre Ram et Simihit. Un escalier les sépare. Elle, tout en haut, chancelle. Lui, en bas, la fixe comme on contemple une déesse. Humaine et inaccessible. Plus le film avance, plus il gagne en profondeur, plus l'Egypte devient polymorphe.

Pour la découvrir, Ram sert de passeur. Souvent involontaire. Normal : Ram est mû par une véritable innocence. L'action est rapide ; le récit, elliptique. Tout l'art de Chahine est là : dans sa fougue, sa manière de ne jamais tenir en place, parce que d'autres images, d'autres émotions l'attendent. Lui et son personnage.

L'Emigré témoigne d'un amour universel. Sa belle idée est de filmer l'Egypte à travers le regard d'un étranger. Ce que sont Ram et Simihit. De fait, la vision de Chahine est cosmopolite.

Bien que le film soit profondément arabe, on a l'impression d'y voir un monde multiple où cohabitent des figures d'autres civilisations, d'autres époques. Amihar ressemble à un centurion romain ; et Simihit, à une figure grecque.

Par bien des aspects, L'Emigré rappelle les grands films hollywoodiens des années 50 (La Terre des pharaons, de Hawks, par exemple, magnifique et sous-estimé), que Chahine affectionne particulièrement.

En fait, L'Emigré, c'est à la fois un péplum biblique, un mélo, un film d'aventures, un film social, une fable.

Le réalisateur allie les visions fantasmatiques et réalistes, mythologiques et intimistes. Bref, il donne vie à l'idée même de métissage. Preuve, s'il en fallait une, que ce grand film populaire est un hymne à la tolérance, au respect de toutes les cultures. Ce n'est pas tous les jours que le cinéma offre un tel souffle de générosité. Et, pour tout dire, de liberté"