03 JUIN 2017

Télérama - Pierre Murat: Bovines ou la vraie vie des vaches

" C'est un pari. Surprenant. Audacieux. Qui aurait pu penser qu'un jeune cinéaste inconnu parviendrait à passionner durant soixante-cinq minutes avec des vaches comme personnages ? Emmanuel Gras y parvient, pourtant, et sans effets pleurards - pas d'anthropomorphisme, surtout, pas d'anthropomorphisme. On voit des vaches, donc. Des vaches qui meuglent, qui mâchent, qui dorment. L'une d'elles a des cils aussi longs et beaux que ceux de Greta Garbo. L'autre met bas si discrètement qu'on est presque surpris de découvrir, soudain, à côté d'elle, un veau tremblant sur ses pattes... On épie des caresses, tendrement maternelles, et d'autres, nettement plus sensuelles : une langue fouillant lentement, longuement, voluptueusement une oreille... On s'amuse au cocasse ballet d'une vache avec un morceau de plastique égaré dans un champ. Et devant l'idée ingénieuse d'une autre, secouant les branches d'un arbre pour faire tomber des pommes qui feront son dessert... Chaque plan est composé avec un soin pictural : celui des vaches qui attendent sous un arbre la fin d'un orage, évoque l'impressionnisme. Plus cubiste, cet écran tout vert où émergent, par la gauche, une, deux, puis trois taches blanches... Dans cet univers clos, l'homme apparaît peu. Mais il est le deus ex machina : celui dont les clefs ouvrent et ferment les portes du paradis. De temps à autre, certains veaux en sont chassés, poussés sans ménagement dans une camionnette où se devine cette inscription menaçante : « Viande charolaise »... C'est l'angoisse, alors. Qui passe comme tout s'efface. Car le lendemain, il faut bien aller travailler... pardon, brouter. Continuer à vivre. Ce conte, philosophique et moral, se clôt comme il avait commencé : sur une vache qui fixe celui qui l'observe... Comme le chantait Nougaro : « On est nez à nez, les yeux dans les yeux. Qui est le plus étonné des deux ? »"

" C'est un pari. Surprenant. Audacieux. Qui aurait pu penser qu'un jeune cinéaste inconnu parviendrait à passionner durant soixante-cinq minutes avec des vaches comme personnages ? Emmanuel Gras y parvient, pourtant, et sans effets pleurards - pas d'anthropomorphisme, surtout, pas d'anthropomorphisme.

On voit des vaches, donc. Des vaches qui meuglent, qui mâchent, qui dorment. L'une d'elles a des cils aussi longs et beaux que ceux de Greta Garbo. L'autre met bas si discrètement qu'on est presque surpris de découvrir, soudain, à côté d'elle, un veau tremblant sur ses pattes... On épie des caresses, tendrement maternelles, et d'autres, nettement plus sensuelles : une langue fouillant lentement, longuement, voluptueusement une oreille... On s'amuse au cocasse ballet d'une vache avec un morceau de plastique égaré dans un champ. Et devant l'idée ingénieuse d'une autre, secouant les branches d'un arbre pour faire tomber des pommes qui feront son dessert... Chaque plan est composé avec un soin pictural : celui des vaches qui attendent sous un arbre la fin d'un orage, évoque l'impressionnisme. Plus cubiste, cet écran tout vert où émergent, par la gauche, une, deux, puis trois taches blanches...

Dans cet univers clos, l'homme apparaît peu. Mais il est le deus ex machina : celui dont les clefs ouvrent et ferment les portes du paradis. De temps à autre, certains veaux en sont chassés, poussés sans ménagement dans une camionnette où se devine cette inscription menaçante : « Viande charolaise »...

C'est l'angoisse, alors. Qui passe comme tout s'efface. Car le lendemain, il faut bien aller travailler... pardon, brouter. Continuer à vivre. Ce conte, philosophique et moral, se clôt comme il avait commencé : sur une vache qui fixe celui qui l'observe... Comme le chantait Nougaro : « On est nez à nez, les yeux dans les yeux. Qui est le plus étonné des deux ? »"