03 JUIN 2017

Télérama - Pierre Murat: Leviathan (Andrei Zvyagintsev)

" Les Russes ont un sens exacerbé de la faute : la culpabilité traverse leur vie et donc, forcément, leur littérature et leur cinéma. En même temps que leur alcool chéri, les personnages de Léviathan avalent leur médiocrité et leur impossibilité de s'en extraire. Ils avalent Poutine comme, jadis, Staline. Dans une scène très réussie, un groupe se réunit, un week-end, pour une séance de tir dont les cibles sont les portraits de leurs dirigeants d'autrefois : Lénine, Brejnev, Gorbatchev. « Où sont les plus récents ? » demande l'un des participants. « On n'a pas encore le recul historique », réplique un autre.(...) Sur ce film tourmenté plane un personnage de femme. Elle est douce, ­attentive, déjà résignée, pas encore ­défaite. Mariée à Kolia, elle s'éprend de Dmitri. Contre son gré, elle devient le deus ex machina de l'intrigue, celle par qui le scandale arrive et qui le paiera très cher. Le réalisateur en fait, pourtant, le seul être mystérieux et digne dans cette foule de zombies. Capable d'agir quitte à expier. Capable de créer, aussi, avec celui qu'elle a trompé et qui continue de l'aimer, un lien étrange, profond. Comme une confiance qui persisterait au-delà de la souffrance... La musique grondante de Philip Glass, compositeur auquel Andreï Zvia­guintsev avait déjà fait appel dans ­Elena, semble faire de Léviathan le ­second volet d'un diptyque. Dans Elena, on voyait des « pauvres » envahir la maison luxueuse où une femme de leur classe sociale avait commis un meurtre. Ici, la maison des « pauvres » est détruite par des nouveaux riches tout-puissants. Léviathan, le monstre annonciateur de chaos, l'emporte : il règne en maître, désormais, sur un pays sans âme."

" Les Russes ont un sens exacerbé de la faute : la culpabilité traverse leur vie et donc, forcément, leur littérature et leur cinéma. En même temps que leur alcool chéri, les personnages de Léviathan avalent leur médiocrité et leur impossibilité de s'en extraire. Ils avalent Poutine comme, jadis, Staline. Dans une scène très réussie, un groupe se réunit, un week-end, pour une séance de tir dont les cibles sont les portraits de leurs dirigeants d'autrefois : Lénine, Brejnev, Gorbatchev. « Où sont les plus récents ? » demande l'un des participants. « On n'a pas encore le recul historique », réplique un autre.(...)

Sur ce film tourmenté plane un personnage de femme. Elle est douce, ­attentive, déjà résignée, pas encore ­défaite. Mariée à Kolia, elle s'éprend de Dmitri. Contre son gré, elle devient le deus ex machina de l'intrigue, celle par qui le scandale arrive et qui le paiera très cher. Le réalisateur en fait, pourtant, le seul être mystérieux et digne dans cette foule de zombies. Capable d'agir quitte à expier. Capable de créer, aussi, avec celui qu'elle a trompé et qui continue de l'aimer, un lien étrange, profond. Comme une confiance qui persisterait au-delà de la souffrance...

La musique grondante de Philip Glass, compositeur auquel Andreï Zvia­guintsev avait déjà fait appel dans ­Elena, semble faire de Léviathan le ­second volet d'un diptyque. Dans Elena, on voyait des « pauvres » envahir la maison luxueuse où une femme de leur classe sociale avait commis un meurtre. Ici, la maison des « pauvres » est détruite par des nouveaux riches tout-puissants. Léviathan, le monstre annonciateur de chaos, l'emporte : il règne en maître, désormais, sur un pays sans âme."