18 DÉCEMBRE 2019

Télérama - Samuel Douhaire: Phoenix

" Le cinéma de Christian Petzold est habité par les spectres, au sens propre (Yella, 2007) ou figuré (Fantômes, en 2005) (...) Dans le huis clos de la cave insalubre qui sert d'appartement à Johannes débute une relecture vertigineuse du mythe de Pygmalion. Celle qu'avait déjà entreprise Hitchcock dans Vertigo (Sueurs froides). Comme le détective interprété par James Stewart, Johannes métamorphose une vivante en sosie d'une femme qu'il croit morte, sans savoir que la « copie » est « l'originale ». Il corrige les postures de sa Galatée, change sa coiffure, lui fait porter les habits chic de la Nelly d'avant. Un projet insensé ? Pas tant que ça : quand sa « créature » lui fait remarquer que personne ne croira revenue des camps une femme avec une robe de soirée rouge sur le dos, il lui répond que la sidération de la retrouver en vie sera plus forte. Et que personne ne lui posera de questions sur Auschwitz pour s'éviter l'effroi du souvenir...Phoenix se démarque toutefois de Vertigo sur deux points : Johannes n'est plus amoureux de la femme qu'il tente de recréer et qu'il a peut-être trahie. Quant à Nelly, elle rêve d'être démasquée, pour que son mari finisse par reconnaître derrière son nouveau visage celle qu'elle fut — et qu'elle croit être encore. Pour porter ce suspense sentimental troublant, Petzold a repris le formidable duo deBarbara, son précédent (et déjà superbe) film. Ronald Zehrfeld et Nina Hoss jouaient un couple qui découvrait l'amour. Dans Phoenix, l'amour est déjà perdu... Lui impressionne autant par ses explosions de violence que par sa soudaine fragilité, quand son personnage est rattrapé par les émotions qu'il a refoulées. Elle exprime la résilience d'une femme meurtrie avec une intensité de tous les plans. Le réalisateur met en scène cette renaissance comme un récit surnaturel, à la manière de Jacques Tourneur, entre angoisse et mélancolie. Dans l'Allemagne d'après la catastrophe nazie, le fantastique naît du quotidien. Et Nelly, la revenante, devient plus incarnée, plus vivante que les vivants. "

" Le cinéma de Christian Petzold est habité par les spectres, au sens propre (Yella, 2007) ou figuré (Fantômes, en 2005) (...)

Dans le huis clos de la cave insalubre qui sert d'appartement à Johannes débute une relecture vertigineuse du mythe de Pygmalion. Celle qu'avait déjà entreprise Hitchcock dans Vertigo (Sueurs froides). Comme le détective interprété par James Stewart, Johannes métamorphose une vivante en sosie d'une femme qu'il croit morte, sans savoir que la « copie » est « l'originale ». Il corrige les postures de sa Galatée, change sa coiffure, lui fait porter les habits chic de la Nelly d'avant. Un projet insensé ? Pas tant que ça : quand sa « créature » lui fait remarquer que personne ne croira revenue des camps une femme avec une robe de soirée rouge sur le dos, il lui répond que la sidération de la retrouver en vie sera plus forte. Et que personne ne lui posera de questions sur Auschwitz pour s'éviter l'effroi du souvenir...Phoenix se démarque toutefois de Vertigo sur deux points : Johannes n'est plus amoureux de la femme qu'il tente de recréer et qu'il a peut-être trahie. Quant à Nelly, elle rêve d'être démasquée, pour que son mari finisse par reconnaître derrière son nouveau visage celle qu'elle fut — et qu'elle croit être encore.

Pour porter ce suspense sentimental troublant, Petzold a repris le formidable duo deBarbara, son précédent (et déjà superbe) film. Ronald Zehrfeld et Nina Hoss jouaient un couple qui découvrait l'amour. Dans Phoenix, l'amour est déjà perdu... Lui impressionne autant par ses explosions de violence que par sa soudaine fragilité, quand son personnage est rattrapé par les émotions qu'il a refoulées. Elle exprime la résilience d'une femme meurtrie avec une intensité de tous les plans. Le réalisateur met en scène cette renaissance comme un récit surnaturel, à la manière de Jacques Tourneur, entre angoisse et mélancolie. Dans l'Allemagne d'après la catastrophe nazie, le fantastique naît du quotidien. Et Nelly, la revenante, devient plus incarnée, plus vivante que les vivants. "