28 FÉVRIER 2011

Tonie Marshall : "Mon héroïne est au croisement imaginaire de Marilyn Monroe et de Jayne Mansfield..."

"Tontaine et Tonton", un film sur la “ boursouflure Mitterrand ” dont "l'héroïne, explique la réalisatrice est à l’image de cette contradiction excessive : son corps généreux indique en permanence que tout est possible et pourtant, à chaque fois, rien n’advient…"

Quelle a été votre réaction lorsqu’Arte vous a proposé de réaliser un film sur les notions de politique et de social ?Tonie Marshall : La proposition était plus précise que ça : Pierre Chevalier m’avait demandé de réaliser une comédie sur le politique. Je me sentais incapable de réaliser un film politique au sens strict du terme. Je ne sais d’ailleurs pas toujours très bien ce que cette dénomination recouvre. En revanche, une proposition de comédie me permettait d’aller naturellement vers une forme et un univers fictionnel que je connais bien. A partir de là, j’ai cherché une idée un peu ludique pour raconter un fragment de l’époque récente en France, disons les vingt dernières années. La première piste que j’ai suivie était celle d’un jeune homme qui passait d’une indifférence totale à tout à un engagement sur tout. Qui peu à peu se sentait concerné par tout. Rapidement, c’est plutôt une idée métaphorique sur la “ période ” Mitterrand qui a pris forme autour d’un personnage, Justine, totalement enfermée dans sa mitterrandolâtrie qui raconterait le Mitterrand “ empêcheur de désirer en rond ” en politique. Ce qu’il a été pendant de longues années.

Cette vision de Mitterrand est nettement en marge des relectures récentes, souvent critiques, de l’époque mitterrandienne...Je suis moins partie des faits historiques ou de ce que l’on appelle les affaires que d’un sentiment. Une contradiction dans les termes du désir qui ne s’est jamais démentie pendant quatorze ans de pouvoir mitterrandien. Intellectuellement, l’homme politique et l’époque qu’il semblait incarner avaient suscité un désir très fort d’entrer en politique, de croire en une alternance possible, par un vote. Très rapidement, c’est à une dépossession complète de ce vote que nous avons dû assister. Au profit d’une période d’un assez grand conservatisme. Pourtant, autour de lui, Mitterrand n’a jamais cessé d’exercer une attraction très forte sur les intellectuels et les artistes. Voire une fascination. C’est ce que j’appelle dans mon jargon, la “ boursouflure Mitterrand ”. Justine est à l’image de cette contradiction excessive : son corps généreux indique en permanence que tout est possible et pourtant, à chaque fois, rien n’advient…

Avec Justine, on a l’impression d’être autant en présence d’une créature que d’un personnage... Je voulais accentuer le trait. Nous sommes dans une unité de temps (une nuit), dans une unité de lieu (l’appartement de Justine), avec des personnages très typés : deux hommes en état de grande frustration sexuelle et une fille dont le corps et les sens appellent à l’amour, mais qui, parce qu’elle est investie de et par Mitterrand, empêche toute sexualité d’advenir. J’aime l’idée que Justine, avec les plus beaux et les plus gros seins de la terre, conduise Alexandre et Joseph à l’épuisement du désir et des stratégies amoureuses.Chacun a d’ailleurs sa propre approche. L’un tente de faire oublier Mitterrand, l’autre caresse ce point de plaisir. Tous deux échouent ! Au moment du casting, j’ai lancé des sondes autour de moi pour trouver une femme qui puisse incarner ce personnage. Un croisement imaginaire de Marilyn Monroe et de Jayne Mansfield pour ce qui concerne les mensurations. Mais le rôle était complexe et je me suis rendu compte que j’aurais besoin d’une grande actrice. Emmanuelle Devos avait toutes les qualités requises. Il suffisait de lui ajouter quelques rondeurs. Et nous n’avons eu aucun mal à la transformer en l’une de ces grandes filles toutes simples qui ont beaucoup de sein, beaucoup de fesse et beaucoup de cheveux ! Ça l’a beaucoup amusée.

A travers le film, ses à-côtés et ses échappées – notamment dans le quartier de la Bastille – perce une vision désenchantée du champ politique.Il me semble que la représentation politique connaît en France une crise forte. Les représentants élus se trouvent dans une position politique - presque une posture - qui est très éloignée et très archaïque par rapport aux gens qu’ils sont censés représenter. Les idées politiques me paraissent plus fragmentaires et isolées. De petits groupes se forment autour de ces idées. La vie politique est mouvante et très mobile. Et on peut aujourd’hui trouver des idées à défendre dans des formations politiques très différentes. L’évidence des grands clivages s’est perdue. Du coup, le geste de délégation par le vote a changé. Et, dans le même temps, notre système de représentation fonctionne encore sur une forme d’obsession du consensus et de la majorité qui me semble dépassée. Comment s’adresser à un tout quand nous ne sommes plus que des bouts ? C’est difficile.