28 FÉVRIER 2011

Tony Gatlif : "Un combat sur un territoire fantastique..."

Le réalisateur explique qu'il ne ne voulait pas d'une femme "qui sombre au fond de l'abîme mais d'une protagoniste combattive, qui nous surprenne et nous entraîne vers la lumière et l'espoir. Ma rencontre avec Asia Argento a été déterminante..."

> Voir > Transylvania, présenté par Tony Gatlif (2'34)

Transylvania commence là où la plupart des histoires d'amour se terminent …C’est vrai. Ce qui m'intéressait, c'était de savoir ce qu’il adviendrait de Zingarina après la rupture et si elle en guérirait jamais. J'avais depuis longtemps l'idée d'un film sur une femme qui part au bout du monde pour retrouver l'homme qu'elle aime. Il se trouve que dans Transylvania, elle retrouve son amant et il l’abandonne. Pour autant, je ne voulais pas d'une femme qui sombre au fond de l'abîme, mais d'une protagoniste combattive. Il fallait qu'elle nous surprenne et nous entraîne vers la lumière et l'espoir. Ma rencontre avec Asia Argento a été déterminante à cet égard : je l'ai immédiatement perçue comme une guerrière passionnée apportant un mélange d'assurance et de fragilité à Zingarina. Je fais toujours appel à des comédiens - connus ou pas - qui imprègnent leurs personnages de leur vécu, de leur personnalité...

On ressent d’ailleurs cette authenticité dans Transylvania…Dans mes films, je n’aime pas qu'on perçoive le dispositif de mise en scène et le travail du cadre. Du coup, je tente de donner un maximum de liberté aux comédiens - tout en étant très précis dans mes consignes. Je m'arrange pour que les acteurs s'approprient complètement le parcours de leur personnage. Il arrive même un moment où la frontière se brouille entre interprètes et personnages, entre réalité et fiction. On en oublie alors la lumière, les décors et les costumes…

Parlez-nous de la Transylvanie, terre de superstitions et de rituels païens…La Transylvanie me fascinait car c'est une terre à la confluence de la Russie, de la Hongrie et de la Roumanie, où cohabitent plusieurs communautés. On y croise ainsi des Roms, des Hongrois, des Roumains et des Allemands qui parlent plusieurs langues : j'étais très attaché à l'idée que le film se déroule dans une atmosphère métissée où les communautés se partagent le territoire pacifiquement et parlent une langue qui leur est propre. J'ai grandi à Alger où les gens s'exprimaient en empruntant aussi bien à l’arabe, l’espagnol, l’italien, le français ou le maltais et réinventaient un langage fabuleux.

Vous montrez aussi de la Transylvanie des paysages industriels désolés.La Roumanie est un pays sorti du communisme depuis peu de temps. C'est une terre massacrée par le totalitarisme où des routes traversent des paysages hallucinants de centrales, d'usines désertes et de bâtiments en béton toujours en construction depuis la chute de Ceausescu. Cela crée une atmosphère fantomatique qui rajoute au mystère propre à ce pays : ce ne sont plus les châteaux perchés sur des collines hantés par Dracula qui font peur, mais ces paysages urbains staliniens qui ont poussé au milieu des routes. C'est là qu'est la vraie sorcellerie d'aujourd'hui. J'ai une grande affection pour la Roumanie et pour les roumains: un peuple accueillant proche du peuple andalou par son goût de la fête. Il est en train de naître une nouvelle génération de cinéastes roumains qui va s'imposer très vite, dans le monde, dans les années à venir.

Cette terre enneigée semble aussi vous avoir inspiré…C'est un paysage aux confins de la Moldavie, totalement fascinant ! Là-bas, tout n'est que glace, givre, brouillard et neige. C'est un lieu mystérieux où peuvent surgir soudain un traineau, un chien ou une voiture, sans qu'on sache d'où ils viennent…

… et qui donne au film sa dimension fantastique.C'est la vie, là-bas, qui est fantastique !

Le film est parsemé de signes qui vont dans ce sens…Des signes à peine perceptibles qui se répondent et annoncent que quelque chose va se passer. Comme l'oeil dans la main de Zingarina, par exemple : elle ne supporte pas le regard des autres et elle s'est dessinée cet oeil dans le creux de sa main pour renvoyer leur regard à ceux qui la dévisagent. Quand elle referme la main, une barrière de chemin de fer se baisse, bloque la route. Ce signe va changer sa vie… Zingarina - comme Asia Argento d'ailleurs - est fascinée par les signes.

Quels ont été vos choix musicaux ?J'ai fait un voyage à travers toute la Transylvanie, très en amont de l'écriture du scénario, pour effectuer mes "repérages musicaux". J'ai découvert des sonorités extraordinaires qui m'ont totalement possédé ! Mais, dans le même temps, je ne voulais surtout pas d'une musique "ethnique" pour le film. Du coup, avec Delphine Mantoulet (qui avait aussi travaillé sur Exils) nous avons d'abord composé une partition originale, puis nous avons fait appel à 80 musiciens que j'avais rencontrés sur place pour les enregistrements. Par conséquent, au moment du tournage, je disposais déjà de la musique : c'est la première fois que je fonctionne ainsi, et je crois que ça m'a permis d'être plus concentré avec les comédiens et les techniciens. La musique irrigue tout le film.

Mais vous montrez aussi qu'elle peut être étouffante… La musique peut être démoniaque et vampirisante, comme une drogue. Elle devient alors douloureuse parce qu’elle obsède et habite les êtres. D'ailleurs, dans la plupart des cérémonies, les musiciens tziganes de Transylvanie vont jusqu'à la transe.

Le film est placé sous le signe de la danse et de la transe, déjà présentes dans Exils. C’est le cas de beaucoup de mes films… Dans Transylvania, la danse enveloppe toute la première partie, puis, dans la deuxième partie, c’est la transe qui prend le relais…Mais ce qui différencie la transe de la danse, c'est que la transe, elle, va jusqu'au bout. L'exorcisme relève du même phénomène : il faut aller au bout de soi pour oser sortir tout ce qu'on a au fond de son être. Zingarina en fait l'expérience pour exorciser son mal-être. Après cette expérience, elle reste un moment totalement déconnectée de la réalité jusqu'à ce que la vie la rattrape et reprenne enfin ses droits.

Comment avez-vous travaillé le cadre et la lumière ? C'est le troisième film que je fais avec la chef-opératrice Céline Bozon. Elle non plus n'a peur de rien ! Elle n'hésite pas à monter sur une échelle en portant une caméra Scope de 30 kilos pour tourner un plan ou à grimper sur les épaules d'un type gigantesque pour se hisser au-dessus de la foule… Quant aux éclairages, nous voulions des tons mystérieux, dans les rouille et les ocre. J'ai garanti à Céline qu'on tournerait l'essentiel du film à la tombée de la nuit, "entre chien et loup". C'est très difficile parce que c'est un moment qui ne dure qu'une vingtaine de minutes. Ces instants rares où le ciel est bleu et la terre sombre, sont, pour moi, habités par la lumière du mystère.