18 AOÛT 2020

Trafic d'enfants - Enfance volée

Dans un documentaire au plus près du travail des enquêteurs, diffusé dans la collection “La vie en face”*, Olivier Ballande révèle l’exploitation dont sont victimes des dizaines de mineurs roumains, contraints par leurs parents de voler dans le métro parisien.

Media

Comment vous êtes-vous intéressé à ces enfants ? Olivier Ballande : Tous ceux, dont je suis, qui prennent régulièrement le métro parisien ont déjà croisé ces enfants. Tout en redoutant de servir la stigmatisation des Roms, je savais, par expérience, que la vérité est rarement celle que l’on croit. La plupart d’entre nous les considèrent, à tort, comme des délinquants, ignorant qu’ils sont en réalité exploités. Le film inverse complètement notre regard sur leur culpabilité. Comme le souligne le sociologue Olivier Peyroux, spécialiste de la traite des mineurs en Europe de l’Est, filmé lors d’un séminaire, ce phénomène demeure cependant limité à quelques dizaines de familles. L’histoire de ces trafics entre la Roumanie et la France montre par ailleurs qu’ils n’ont pas concerné la seule communauté rom.

 

Comment les enquêteurs français et roumains sont-ils parvenus à remonter la filière ? Olivier Ballande : Même s’ils utilisent des alias et refusent qu’on relève leurs empreintes digitales, les enfants étaient connus de la Brigade de protection des mineurs de Paris à travers plus de 470 procédures. Parallèlement, ces mêmes mineurs avaient été repérés à Iasi, leur ville d’origine, pour des délits similaires. Mais les policiers et magistrats roumains ignoraient alors qu’il s’agissait d’un entraînement avant leur départ pour des pays riches. Une équipe commune d’enquête a été créée en 2017. Grâce à un énorme travail d’identification, elle a établi que ces enfants étaient tous issus d’un même clan rom mafieux.

 

Malgré des conditions de vie effroyables, les enfants demeurent d’une loyauté absolue envers leurs parents… Olivier Ballande : Pour tout enfant, rejeter ses parents revient à une sorte de suicide. Dans le cas de ce trafic, ils sont sous l’emprise des adultes, eux-mêmes sous celle des chefs du clan. Les écoutes téléphoniques dévoilent les menaces, la haine, le mépris permanents qu’ils subissent. À son fils, qui ne s’est pas réveillé pour aller voler, une mère crie ainsi : “Tu veux jouer gratuitement, c’est ça ?” Quelle cruauté de demander à son enfant de d’abord voler pour avoir le droit de jouer !

 

La fin du film sonne comme un aveu d’impuissance : on apprend que la majorité des enfants ont ensuite été exploités en Espagne… Olivier Ballande : J’apporterais un bémol à ce constat. Sauver ne serait-ce qu’un seul enfant n’a pas de prix. Or sept d’entre eux ont été pris en charge par les services roumains de protection de l’enfance et vont à l’école tous les jours. Comment voulez-vous autrement que des personnes qui n’ont été scolarisées que trois ans dans leur vie et qui n’arrivent pas du tout à s’exprimer correctement se réinsèrent ? Il existe un espoir réel que ce trafic cesse.

 

Propos recueillis par Manon Dampierre

 

* Vingt documentaires de société à retrouver le mercredi en deuxième partie de soirée et déjà en ligne sur arte.tv