Tran Anh Hung : "Je voulais montrer toute cette violence avec une grande douceur"
Un thème : "Quelle est la nature du lien qui lie un enfant à son père ?". Une sensation physique : celle d'une "exténuation" générale, qu'il a ressentie en se rendant à Ho Chi Minh-Ville, alias Saïgon, explique le réalisateur. Après cela, le cyclo – le terme désigne aussi bien le coursier, que son instrument de travail – n'est au fond qu'un accessoire, un révélateur.
"L'Odeur de la papaye verte a été pour moi l'occasion de retourner au Vietnam. Je voulais y tourner ce film. En arrivant à Ho Chi Minh-Ville en 1991 pour les repérages, j'ai été saisi par une sensation purement physique d'un rythme émanant de cette ville, d'une fatigue extrême de la population, comme une exténuation. Deux ans après, cette sensation a gardé toute son intensité et, secrètement, elle s'est mêlée à une question que j'avais en tête depuis longtemps : quelle est la nature du lien qui lie un enfant à son père ? J'avais là l'essentiel : l'indispensable sensation physique et le thème. Il me restait à trouver l'accessoire : l'histoire.
Le cyclo - ici le terme désigne aussi bien l'homme que son instrument de travail - s'est imposé naturellement comme le meilleur véhicule qui soit puisqu'il est en mouvement. A travers lui, je pourrais parler du monde du travail, de la fatigue, de la transpiration, de la nourriture, de l'argent. C'est pour moi tout à fait nécessaire d'enraciner mon thème dans ce sol social et concret. Quand j'ai commencé à écrire cette histoire sur la parole du père, sur un cyclo qui se démène, je me suis aperçu que je faisais là un travail purement social. Et le social vire au constat et limite le champ de réflexion. C'est ainsi que j'ai eu recours à un autre personnage plus "analytique" que le cyclo. Ce personnage "analytique" ne peut être qu'un poète car le regard d'un poète n'est pas explicatif mais énigmatique. Tout le long du film, le cyclo ne comprend pas le parcours qu'il accomplit. Pour aider le spectateur, il fallait un passeur. C'est l'innocence qui unit ces deux personnages. Parce que Le Poète a perdu la sienne en choisissant la voie du crime pour échapper à la médiocrité et à la pauvreté, il est attiré par le cyclo en qui il voit un être innocent. Et au lieu d'aider le Cyclo à s'en sortir, car il en a le pouvoir, il choisit de le mettre à l'épreuve... Et il fait de même avec sa grande soeur sans connaître ce lien de famille.
Il prostitue la soeur pour ressentir souffrance et consolation quand il entend ses larmes, face à un client qui l'humilie ; ces larmes représentent pour lui l'innocence au travail. Il est désespéré quand il voit la joyeuse insouciance de la soeur sortant de chez un client, et quand, il entend le cyclo dire son désir de s'intégrer à la bande. Et je voulais montrer toute cette violence avec une grande douceur."
Tran Anh Hung