28 FÉVRIER 2011

Trouver le chemin de la liberté

Depuis ses chroniques adolescentes ("L'Amour"...) jusqu'à son évocation de la guerre d'Algérie ("La Trahison"), Philippe Faucon construit une oeuvre simple et lumineuse. "Dans la vie", ce pourrait être le titre de tous ses films. Tous ont comme horizon cette ligne d’observation : voir comment les êtres se débrouillent pour rester à flot « dans la vie »...

"Dans la vie", ce pourrait être le titre de tous les films de Philippe Faucon. Tous ont comme horizon cette ligne d’observation : voir comment les êtres se débrouillent pour rester à flot « dans la vie ». Car chaque film de Philippe Faucon cherche à approcher le mystère des êtres, enregistrant ces élans contradictoires qui les mènent à s’interroger et à agir suivant un mode qui échappe souvent à leur raison. Depuis ses chroniques adolescentes (L’Amour, Mes 17 ans, Muriel fait le désespoir de ses parents…) jusqu’à sa récente adaptation, sobre et belle, du roman autobiographique de Claude Sales, La Trahison, où l’on suit un sous-lieutenant français pendant la Guerre d’Algérie découvrant que l’un de ses hommes, Algérien, l’a finalement livré au FLN et s’apprête à le tuer, c’est dans l’ambiguïté d’une guerre, d’un système de pensée ou de contraintes sociales que les personnages des films de Philippe Faucon doivent trouver le chemin de leur liberté. Dans la vie est peut-être le plus lumineux de tous. Il se déploie pourtant dans la simplicité et la discrétion, à l’image de ce jeune réalisateur qui, depuis dix ans, tient bien droit sur une ligne dont il ne dévie jamais. Une ligne qu’on pourrait qualifier d’humaniste, souvent à l’ombre de soleils méditerranéens plus ou moins lointains. Né au Maroc, d’une mère pied-noire d’Algérie et d’un père militaire français, Philippe Faucon aime filmer Marseille, vit à Toulon et laisse à la mixité française puisée dans ses colonies toute latitude pour prendre sur l’écran une place aussi grande que dans notre quotidien. C’est dans cet esprit que Dans la vie commence, avec force, par une situation banale. Une jeune fille vient faire une piqûre à un vieil homme malade. Malaise. Il lui fait comprendre, puis le dit tout net : « Je n’aime pas les gens comme vous… » Comme vous ? Les Arabes. Puis l’infirmière rejoint ses parents. Sa mère, devant son téléviseur, s’indigne de voir des soldats israéliens arme au poing : « Je n’aime pas ces gens… » conclut-elle. Sa fille, elle, se rend pourtant régulièrement au chevet d’une vieille femme juive. Et c’est précisément entre ces deux femmes inconciliables, par principe, Esther et Halima, juive et musulmane, que va se tisser une complicité, puis une amitié, jusqu’à faire renaître, par leur échange, le goût de profiter encore du temps qu’il leur reste et qu’elles croyaient désormais sans saveur. Fraternité à l’eau de rose ? « Montrer que, malgré la dureté d’une situation, rien n’est éteint, c’est simplement l’une des facettes de la vie. C’est un film sur le courage, sur la capacité d’accepter une rencontre inattendue. La petite histoire d’ Esther et Halima, n’est qu’un grain de sable. Ça ne change pas le cours du monde mais c’est une réalité possible : ni idyllique, ni idéalisée. Il y a, de plus, l’Histoire à laquelle, malgré elles, elles appartiennent, précise Philippe Faucon, et les reproches nés de cette Histoire entre Juifs et Musulmans sont omniprésents. Il y a aussi la pensée communautaire, les voisins, les proches et les répercussions de l’actualité du Proche-Orient qui les rend réactives. Tout cela est traverse le film : il se situe bien dans notre monde réel. Ce n’est pas éludé. » Comme la réelle difficulté de vivre des deux femmes, l’une paralysée, l’autre illettrée et désormais seules avec un fils, ou un mari … « Esther est à un moment de dépression où elle a toutes les raisons de croire qu’elle n’a plus rien à espérer. Parce qu’elle est handicapée et qu’elle trouve très humiliant d’être dépendante des autres, elle dépérit. Quand elle rencontre Halima, elle se remet à désirer et ce que d’autres appelleraient des miettes de vie, mais qui lui sont accessibles, deviennent intenses et absolus » Le film trouve ainsi son ampleur et sa profondeur dans ces moments ordinaires, alors qu’il ne s’agit que d’être là, avec Esther et Halima lorsqu’elles vont au bord de la mer, que l’une prépare un plat pour l’autre, ou qu’il s’agit d’aller au hammam, entre filles, même si l’une est clouée sur un fauteuil roulant… Si cette simplicité semble si belle c’est sans doute parce que Philippe Faucon a depuis longtemps pris l’habitude de puiser dans la réalité des existences pour bâtir ses fictions et de faire jouer devant sa caméra des comédiens professionnels aux côté des amateurs. « Pour trouver Esther et Halima, dit-il, j’ai cherché dans toutes les directions. Finalement, les inconnues que j’ai choisies avaient une beauté vraie, une densité et un vécu très riche, à commencer par leur proximité sociale et culturelle avec leur rôle. Leur énergie a raccordé immédiatement et, en devenant actrices à plus de soixante ans, elles vivaient quelque chose d’exceptionnel. Elles ont donné leur chair et leur âme à leurs personnages. Quand l’une s’emporte ou quand l’autre, en voulant faire plaisir, fait une entorse à la religion et finit par dire « qu’est-ce que j’ai fat de mal ? », on sent que ce n’est pas le scénario qu’elles jouent mais leur vie. » Passent alors sur l’écran immense du cinéma comme sur leur visage et dans leur voix, une gêne, une peine, une colère et le souvenir d’anciennes humiliations qui ne sont pas feintes. Comme leurs bonheurs. Dans la vie ? En plein. Philippe Piazzo