28 FÉVRIER 2011

Un conte, pas un documentaire

De son village natal, du côté de Manosque, Christian Philibert a ramené un portrait touchant et drôle de la France rurale.

Espigoule… Où c'est ça, Espigoule? Ne cherchez pas sur une carte. Ce village n'existe pas. Sinon dans l'esprit du réalisateur. "Espigoule, dit-il, pour aller vite, c'est mon propre village, près de Manosque, celui où je suis né et où j'ai passé les vingt-cinq premières années de ma vie. Quand je l'ai quitté, j'ai éprouvé une certaine nostalgie. Alors, chaque fois que j'y revenais, je filmais, en amateur, avec ma vidéo, les amateurs dans leurs faits et gestes quotidiens. Je voulais constituer des archives. Sauvegarder quelque chose de cette vie, de ce village. Entre-temps, un de mes amis a pris la direction du Cours (celui qu'on voit dans le film) et on projetait les séquences dans sa salle. Au bout de quelques séances, ça n'intéressait plus personne. Mais tout le monde s'était habitué à me voir avec une caméra à la main. J'ai continué à filmer, épisodiquement. De ces images volées au détour des rues et conversations est née une série pour Canal Plus, La Minute d'Espigoule. L'esprit, c'était les "brèves de comptoir". J'avoue que, pour moi, ce n'était pas très glorieux. Trop facile. Il n'y avait pas de réelle démarche artistique. Entre mes premières images d'archives et le film d'aujourd'hui, il s'est passé dix ans: entre La Minute d'Espigoule pour la télé et Les 4 Saisons d'Espigoule pour le cinéma, l'écart est aussi grand. Le film est un conte, pas un documentaire. Il réunit les habitants de plusieurs villages. Et tous sont exactement comme ils sont dans la vie: employés dans leur propre rôle (le député en député, l'agriculteur, le sculpteur de bois, le poète…). Mais tous sont parfaitement conscients d'être filmés et mis en scène, d'interpréter une situation le plus souvent fictive. La moitié du film est pure invention. Mais une invention qui découle de l'observation d'une réalité. Tout le film navigue à la frontière de la réalité et de la fiction, comme la séquence des élections, qui est à moitié de la comédie. Et c'est ça que je trouve intéressant: ne plus pouvoir distinguer la frontière entre l'un et l'autre. Pour y arriver, il a fallu la confiance de tous. On pouvait craindre qu'au finale on allait les prendre pour des crétins et désigner Espigoule comme un village de beaufs méridionaux. J'espère que c'est plus profond que ça. Si je n'ai pas pris de comédiens, c'était justement pour ne pas tomber dans la "galabruade", le côté faconde et accent artificiels et galvaudés. Mais il fallait aux "Espigoulais" s'exposer. On a écarté les trop timides et les trop cabots. Les femmes, d'elles-mêmes, n'ont pas voulu jouer le jeu. Elles se protégeaient. Elles sentaient que le cinéma allait grossir le trait. Le sculpteur de bois, qui est l'un de mes meilleurs amis, a été à fond dans le côté un peu fou de sa passion. Le poète, lui était un peu le barde du village. Il pouvait y avoir de la cruauté à le montrer ainsi. Il est venu me voir et m'a dit: "Je m'offre au film; tu peux me faire ce que tu veux." Il est aujourd'hui plus respecté que jamais." "Bien sûr, Espigoule, c'est mon village et je l'ai idéalisé, conclut Christian Philibert. Sa convivialité. Ses anecdotes. Ses crises de rire. Ses hommes qui sont de grands enfants, qu'on voit plus souvent avec leurs mamans qu'avec leurs petites amies. Ce film n'est rien d'autre que mon histoire d'amour avec ce village." Philippe Piazzo