Louis Malle

Réalisation - Producteur

Biographie

Né en 1932, à Thumeries, et disparu en 1995, à Beverley Hills, il fut associé à la Nouvelle Vague mais, entre documentaire et fiction, il résiste à toute tentative de classification...

Il eut à subir quelques malédictions : d'abord pour ses origines, la haute bourgeoisie sucrière, dont on le soupçonna longtemps de n'avoir pas su s'arracher, puis pour la trop grande diversité de ses sujets, mauvais signe pour un auteur, ensuite pour les scandales que quelques-uns de ses films déclenchèrent, comme s'il voulait prouver son existence par la provocation, enfin de s'être installé aux Etats-Unis et d'y faire des films sur des thèmes sociaux, comme s'il devait se mêler de choses qui ne le concernait pas.

Et pourtant, cet indépendant, inclassable, capable de se remettre en cause plusieurs fois au long de son parcours, allant, après deux succès, tourner aux Indes un documentaire de 7 heures, achevant une filmographie semée de récompenses, Palme d'or, Lions d'or, Césars, par un film presque expérimental, est le signataire d'une œuvre passionnante, toujours surprenante dans ses détours.

Il avait commencé fort, en décrochant, à 24 ans, pour son premier film, coréalisé avec Jacques-Yves Cousteau, Le Monde du silence, une Palme d'or, suivi par deux essais dans des genres différents, un policier "moderne", Ascenseur pour l'échafaud (1958), sur lequel Miles Davis broda une musique légendaire, et Les Amants, drame bourgeois dont les séquences sexuelles explicites firent frémir le public de 1958 - et la censure, évidemment.

Systématiquement, Malle allait faire à chaque fois le film que l'on n'attendait pas : à une adaptation rigolarde et burlesque de Raymond Queneau (Zazie dans le métro, 1960), succédait une tentative audacieuse de mise en miroir du mythe Bardot (Vie privée, 1962), puis le filmage intense, au plus près, des derniers jours d'un suicidé (Le Feu follet, 1963). La question de l'unicité d'inspiration et de regard se posait, en pleine période de "politique des auteurs" : était-ce le même cinéaste qui tournait avec brio les aventures mexicaines hilarantes de Brigitte Bardot et Jeanne Moreau (Viva Maria, 1965), traçait un portrait réjouissant d'un anarchiste de la Belle Époque (Le Voleur, 1967) et osait, à la grande frayeur des bien-pensants, évoquer un inceste mère-fils dans Le Souffle au cœur (1971), provoquant un nouvel émoi de la censure ?

Que reprocher à un cinéaste polymorphe, qui réussissait chaque essai, s'embarquait, après son tournage à Calcutta, sur la place de la République à Paris pour y filmer des passants parisiens, se permettait, homme de gauche avoué, de tracer, à partir d'un scénario de Patrick Modiano, le portrait d'un "collabo" (Lacombe Lucien, 1974), dont l'ambiguïté dans la description fera couler beaucoup d'encre et de salive ? Sa trop grande aisance à traiter les sujets délicats ? Il faut reconnaître que Malle ne craignait pas de prendre à rebrousse-poil le sentiment commun : après l'inceste et la collaboration, c'est la pédophilie qu'il met en scène dans La Petite (1978), assez troublante histoire d'une maison close de la Nouvelle-Orléans au début du siècle dernier et d'une de ses pensionnaires nubiles, qui remua une nouvelle fois les membre de la commission de censure.

C'est aux Etats-Unis qu'il était parti tourner ce dernier film ; il s'y installa, une dizaine d'années durant, entamant un autre cycle de six films produits de façon indépendante, utilisant des vedettes à contre-emploi (Burt Lancaster dans Atlantic City, 1980, Lion d'or à Venise, remarquable description d'un gangster triste en fin de course, Donald Sutherland dans Crackers, 1984, remake noir du Pigeon de Mario Monicelli, Ed Harris dans Alamo Bay, 1985, en vétéran du Viet-nam dépressif). Malle échappait ainsi aux contraintes de la production française et à son obligation de réussite : il pouvait tourner comme il le souhaitait, signer un film aussi étonnant que My Dinner With André (1982), enregistrement en (presque) direct de deux comédiens (ceux qu'il retrouvera dans Vanya, 42e rue) conversant autour d'une table de restaurant, expérience digne des cinéastes underground new-yorkais ou réaliser deux documentaires, God's Country (1986) et And the Pursuit of Happiness (1987), enquêtes dans la ligne de ses films indiens.

Regret du pays ? Désir d'un retour à une audience plus vaste ? Il revient en France en 1987, pour tourner Au revoir les enfants, déchirante évocation d'un souvenir d'enfance où il avait vu disparaître, en direction des camps allemands, un de ses camarades de classe. Le temps de l'ambiguïté est terminé et l'auteur revient en grâce : le film récolte un nouveau Lion d'or à Venise, sept Césars et le prix Louis Delluc. On l'attendait désormais sur de "grands sujets" ; à la place, il tourne, dans des conditions artisanales, Milou en mai, comédie familiale sur fond des événements de mai 68, régal d'acteurs amis (Michel Piccoli, Miou-Miou), mal compris sur le moment (1990), mais dont on perçoit aujourd'hui la dimension humaine. Quant à son retour au cinéma de genre – Fatale (1992) avec Jeremy Irons et Juliette Binoche -, on peut lui préférer son ultime Vanya, 42e rue (1994), d'une simplicité suprême – des comédiens répètent une pièce d'après Tchékhov dans un théâtre abandonné -, œuvre testamentaire aussi puissante, sur le thème commun du spectacle-reflet de la vie et de la mort que The Last Show de Robert Altman. Malle a su clore, à 63 ans, une carrière prodigue en films de première grandeur, avec une œuvre qui sonne comme un premier film, mais un premier film nourri de l'expérience de toute une vie. Ceux qui y sont parvenus ne sont pas si nombreux.

Lucien Logette