Peter Brook

Scénario - Producteur - Premier rôle

Biographie

Le cinéma, il y est venu à la fois tôt et tard. Tôt, car il n'a pas trente ans lorsqu'il tourne son premier film, L'Opéra des gueux/The Beggar's Opera (1953). Tard, parce qu'il a, à l'époque, déjà monté vingt-cinq pièces, depuis 1942 et son adaptation (à 17 ans !) du Dr Faustus, de Christopher Marlowe.

Nourri dès sa petite enfance au lait de Shakespeare, on aurait pu croire que pour sa première tentative au cinéma, il aurait illustré le grand Will. C'est pourtant John Gay qu'il choisit, auteur du début du 18e siècle. Le film étant produit et interprété par Laurence Olivier, on peut l'imaginer comme un essai de transposition à l'écran d'une mise en scène théâtrale (comme Brook fera plus tard).

En réalité, il s'agit d'un vrai film, pensé pour le cinéma, la seule comédie musicale jouée par sir Laurence, et dans laquelle on trouve des acteurs britanniques renommés, comme Hugh Griffith et Stanley Holloway. Pas du tout un travail d'amateur, de dilettante effectuant une escapade hors du théâtre pour se désennuyer.

Dans la seconde partie des années 50, Brook fait des allers et retours entre Londres et Paris, montant ici et là Jean Anouilh, Arthur Miller, Shakespeare ou Jean Genet. Il dirige en 1956 Jeanne Moreau pour la création française de La Chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams. C'est sans doute la raison pour laquelle Raoul Lévy, le producteur, fait appel à lui pour la diriger dans l'adaptation filmée du court roman de Marguerite Duras, Moderato cantabile. Brook n'a pas encore théorisé son "espace vide", rejetant tout décor pour se fixer sur le seul travail du comédien, sans cesse peaufiné. Mais le film anticipe cette pratique, insistant sur la confrontation des acteurs, la modulation des dialogues, la vibration émise lors de situations presque immobiles. Méthode tout à fait pertinente pour restituer l'univers de Duras (et que cette dernière reprendra lorsqu'elle passera à son tour derrière la caméra). Jeanne Moreau obtint le prix d'interprétation féminine à Cannes 1960, et c'était justice.

Délaissant la petite musique durassienne, Brook s'attaque trois ans plus tard à un roman aux dimensions plus vastes, ne correspondant pas a priori à ses habitudes de directeur d'acteurs : Sa Majesté des Mouches /Lord of the Flies, de William Golding. La fable désenchantée sur le pouvoir et la tyrannie inévitable est proche, en définitive, de la vision shakespearienne de l'Histoire, mais la nouveauté tient pour le réalisateur dans un travail avec des enfants non-professionnels. Des décors naturels – une plage, des rochers -, un tournage déstabilisant – deux mois d'isolement. Mais l'expérience réussit : le film est impressionnant, sans doute un des plus forts dans le genre, peu souvent fréquenté à cause de sa difficulté, des œuvres entièrement interprétées par des gamins.

L'année 1966 voit l'opposition à la guerre du Viêt-nam, longtemps réduite à une affaire intérieure américaine, gagner tous les pays occidentaux. Brook et ses acteurs de la RSC composent un texte collectif, US, pour exprimer leur mauvaise conscience et leur responsabilité – quelques temps après, un collectif français signera, dans le même ordre de préoccupations, Loin du Viêt-nam.

Presque immédiatement, en 1967, juste après Marat-Sade, Brook tourne Tell Me Lies (intitulé d'abord Tell US Lies), à la fois adaptation du spectacle originel et création d'on objet brechtien, mélangeant chansons, cinéma direct, événements reconstitués, documents bruts, interviews vraies et jouées. Le film ne fut présenté qu'en festival et n'est sorti ici qu'en octobre 2012. Revu avec l'éloignement temporel, il a gagné en puissance formelle ce qu'il a perdu en actualité, comme bien souvent les films d'intervention directe.

Durant les trente-cinq années qui suivront, Brook ne tournera que cinq films, quatre d'après ses spectacles, King Lear (1971), La Tragédie de Carmen (1983), Le Mahâbhârata (1989) et La Tragédie d'Hamlet (2002), un d'après les souvenirs de Georges Gurdjieff, Rencontres avec des hommes remarquables (1979). Cette découverte de Gurdjieff a amené Brook vers le sous-continent indien et ses mythologies. Adapté avec Jean-Claude Carrière, l'épopée du Mahâbhârata fut un des sommets du Festival d'Avignon 1985. De ce spectacle à succès, il restait à faire un film, qui prit d'abord, en 1989, la forme d'une mini-série télévisée en 6 épisodes, puis d'un film à durée humaine, quoique de presque trois heures. Spectacle-monde, inoubliable quelles qu'en soient les versions.

Ce n'est qu'une douzaine d'années plus tard que Peter Brook renoua avec l'écran – le petit, puisque c'est pour la BBC et Arte qu'il réalisa La Tragédie d'Hamlet, à partir du spectacle monté en anglais, en 2001, à Paris. Selon la méthode déjà employée : pas une captation, un véritable film. Tourné sur place, dans les Bouffes du Nord dépourvues de décor, avec sa troupe internationale – Hamlet et Claudius sont Noirs, Ophélie est une Indienne, le faux roi est japonais -, avec le même soin et la même inventivité que pour Marat-Sade ou Tell Me Lies : une œuvre qui doit tout au théâtre et qui est pourtant profondément cinématographique, malgré ses 132 minutes d'affrontements en plans rapprochés.

Car la force de Peter Brook est d'échapper aux catégories, comme les quelques "grands", Visconti, Losey, Chéreau, qui ont touché à toutes les formes du spectacle, théâtre, opéra, cinéma, écriture. Et ses films ne sont pas les passe-temps d'un metteur en scène de théâtre, mais les jalons d'un itinéraire dont tous les détails sont importants.