Werner Schroeter

Réalisation - Scénario

Biographie

Cinéaste mais surtout poète des marges, dans une filiation avec Genet, Werner Schroeter est né le 7 avril 1945, à Georgenthal (Thuringe), et a disparu le 12 avril 2010. Il suit des études de psychologie à l’université de Mannheim, puis exerce la profession de journaliste de 1964 à 1966 avant de s’orienter vers le monde du spectacle en 1967...

Werner Schroeter  commence une carrière de cinéaste expérimental, concevant notamment un film (Neurasia, 1969) destiné à être projeté sur deux écrans simultanément. La majorité de ses œuvres de jeunesse rendent hommage à l’opéra, et en particulier à Maria Callas. Avec son premier long métrage Eika Katappa (1969), il attire l’attention de la critique internationale au festival de Mannheim, puis à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. On y découvre tous les thèmes qui vont parcourir son oeuvre : l’opéra, la chanson populaire, la théâtralité, l’utilisation de travestis dans les rôles de femme, l’obsession du temps qui passe... et on y remarque aussi celle qui deviendra son interprète fétiche, Magdalena Montezuma.

Dans la mouvance du jeune cinéma allemand de l’époque (Herzog, Fassbinder, Syberberg...), Werner Schroeter apparaît comme un poète d’avant-garde dans une filiation lointaine avec Jean Genet. Ses scripts puisent autant chez Edgar Poe que dans les premiers films muets ou de l'âge d'or hollywoodien, quand les stars étaient inaccessibles et qu'elles appartenaient complètement à l'imaginaire du spectateur. Ses personnages sont ainsi des silhouettes et des figures souvent très symboliques dont la présence se détermine notamment par la musicalité de la voix. Le réalisateur aime ainsi tourner à l'étranger : Salomé (1971), d’après Oscar Wilde, au Liban, La Mort de Maria Malibran (Der Tod der Maria Malibran, 1971) en Autriche, Willow Springs (1973) aux États-Unis, L’Ange noir (Der Schwarze Engel, 1974) au Mexique, Le Règne de Naples (Regno di Napoli, 1978) en Italie, Flocons d’or (1976) en France et Le Jour des idiots (Tag der Idioten, 1981) à Prague. Et les actrices françaises doivent avoir pour lui un timbre particulièrement émouvant puisqu'il fait jouer, et parfois à plusieurs reprises, Carole Bouquet, Isabelle Huppert, Andréa Ferréol, Bulle Ogier ou Maria Schneider.

Le cinéma reste, pour lui, un champ de possibles où se mêlent théâtralité (il filme des pièces :  Salomé, Macbeth, Concile d’amour) autant que réalisme documentaire (La Répétition générale, 1980-tourné au festival d’Avignon, De l’Argentine/Zumbeispiel Argentinien-1986, Poussières d’amour/Abfallprodukte der Liebe, 1996. Il connait un certain succès avec Le Baiser de Tosca, émouvant essai sur l’opéra avec les cantatrices Anita Cerquetti, Rita Gorr et Martha Mödl. Plus surprenante fut son incursion dans une fiction politique avec Palermo/Palermo oder Wolfsburg, 1980 qui obtient l’ours d’or à Berlin. En 1990, il adapte le roman d’Ingeborg Bachmann Malina avec Isabelle Huppert.

Il retrouve alors à la fois Bulle Ogier et Isabelle Huppert pour Deux (en 20002, bien sûr), sur le thème le la gemellité fantasmée Son ultime film, Nuit de chien, a exploré, plus que jamais, les thèmes de tout son cinéma où les corps sont exaltés et frustrés à la fois, plongés dans la nuit et le rêve, en proie à un désir animal.

L'un de ses films les plus représentatifs est Le Roi des roses où s'affirme une sensualité et un sentiment de perdition mêlés que le cinéma seul pouvait, peut-être, semble-t-il, apaiser. On se souvient de sa longue et frêle silhouette, de son large chapeau noir et d'une volonté de raffinement permanent comme pour compenser un excès de lucidité sur la conditon humaine : ""Celui qui ne pense pas à la mort au moins cinq minutes par jour, disait-il, ne vit pas, mais fuit quelque chose." C'est dans cette conscience aigüe de la mort que Werner Schroeter a bati des remparts de beauté, dont l'étrangeté même tient du tourment jusqu'à l'obsession.

Philippe Piazzo