" Un film événement ? 120 Battements par minute sort en salles avec de l’élan. L’enthousiasme qui a entouré ses premières présentations n’est qu’un tremplin. Autre chose semble le pousser vers nous, comme un vent favorable : un désir ou un besoin, auxquels il vient répondre. Le film arrive plein de quelque chose qui le déborde et qu’il a réussi à accueillir en son sein : toute une époque (les premières années 90, ou le début de la nôtre) ; toute une histoire, celle d’Act Up-Paris, des formes de vies et de résistance inventées par ses membres dans la «lutte contre le sida», c’est-à-dire contre le silence ; toute une mémoire aussi, puisque la biographie et l’autobiographie y jouent leur rôle, charriant les souvenirs transposés de vies réelles et de blessures non refermées. Film d’époque, historique, biographique ? Triple événement où le cinéma aura en apparence la fonction précise, enfin claire aux yeux de tous, de rassembler et de recueillir, pour se recueillir.(...)
Ce film est une boîte : une utopie et une cellule, une machine qui serait capable d’émotion comme celles de la musique électronique. Il crée là tout un réseau de sens qui n’est jamais métaphorique (aucune «viralité» de la forme ou du propos ici, congé donné aux douteuses images de l’épidémie et à l’idée de «contamination»), mais scénographique : un espace qui cherche à se laisser habiter par des figures qui doivent tout à la vitalité en mouvement des acteurs, et se laisser envahir par des forces extérieures à la limite du surnaturel. Un espace de remémoration active, et non pas de représentation - cette question insoluble de comment apparaître au dehors, qui agite chacune des disputes dans les scènes de réunions. Entre ses murs vitrés rebondissent toute une époque, toute une histoire, toutes les vies, livrées à la mélodie régulière de la fiction, cette boîte où mixe le DJ fantôme de la liberté."