" ... d’évidence, une préoccupation profonde de Pietro Marcello : comment survivre, pauvre et démuni, en un monde aussi cruel ? Comment faire triompher l’amour et la beauté sur les turpitudes qui s’accordent à les bannir ?
Le bufflon sert à Pietro Marcello d’objet transitionnel à un récit édifiant et poétique, charriant dans un même flot réalité et fiction
Pour ce faire,
Bella e perduta se souvient d’
Au hasard Balthazar (Robert Bresson, 1966) et transforme l’âne en bufflon napolitain. L’animal, noir et doux, prolongeant le miracle précaire qui le fait échapper au sort fatal des mâles de son espèce sous le joug des hommes, dit tout du long ses pensées sur l’état du monde et de ladite humanité. A ses côtés, le spectateur est invité à une pérégrination en Campanie, terre méridionale de tous les ensevelissements, de la conscience comme des toxiques, terre italienne sacrifiée par l’Etat et la Camorra, terre oubliée, victime de l’incurie et du mépris.
Le bufflon sert donc à Pietro Marcello d’objet transitionnel à un récit à la fois édifiant et poétique, charriant dans un même flot réalité et fiction. Au premier de ces chapitres, le château de Carditello. Ce sublime édifice de la commune de San Tammaro sombra, à compter de 1860, dans un long abandon, se transformant au fil du temps en véritable décharge. Racheté par l’Etat en 2014, le château avait cependant bénéficié de la sauvegarde bénévole et solitaire d’un berger amoureux des animaux, de sa région et de son histoire, Tommaso Cestrone, qui meurt à cette tâche en 2013, à l’âge de 48 ans, victime d’un infarctus.
Pietro Marcello, lui-même originaire de Caserta, à 8 kilomètres de San Tammaro, fait post-mortem de Cestrone, qu’il avait commencé à filmer pour un segment de
Bella e perduta, le héros du film et premier propriétaire du bufflon. Il lui adjoint ensuite, côté conte, un Polichinelle archaïque, tel que les Etrusques l’auraient défini, mandataire des morts auprès des vivants et devenu à ce titre légataire du bufflon, qu’il va mener jusqu’à un autre berger, poète celui-ci, qui répond au nom de Gesuino. Un voyage qui offre à Pietro Marcello l’occasion de plans somptueux de son pays, de la richesse chromatique et sensuelle de cette terre qu’on sait pourrie de l’intérieur.
Ainsi le film, commencé à l’abattoir sur des plans phosphorescents et hallucinés, boucle la boucle dans le camion d’un boucher où il semble que l’on voie un bufflon pleurer. Cette larme est notre croix. Car le bufflon ne pleure pas tant sur lui que sur nous. Sur cette humanité oublieuse des bienfaits de la nature et de l’art, sur ce monde qu’elle domine, où la terreur et le beauté se livrent chaque jour une homérique bataille. "