"Quelque chose fait vibrer les contours du réel tel qu’il s’offre au personnage, et dans ces énigmatiques nœuds scénaristiques, Lee Chang-dong trouve le foyer d’une énergie toute électrique qui fait osciller son histoire entre genre romantique, fleuve sentimental, puis simili-film noir, sorte de polar bâtard, drame lyrique, enquête… Et le récit n’a de cesse de s’emplir de détails, de signes et de situations présentés comme autant de distractions et d’indices qu’il se trame quelque chose dont l’explication nous pend au nez, en même temps que tout cela participe au déboussolement : désirs, illusions, mensonges, effleurements, traces affleurent comme autant de réfractions, évocations ou possibilités d’un obscur dessein hors champ, à peine suggéré et néanmoins menaçant. Des forces, triviales ou terribles, à l’œuvre quelque part, dans les recoins les plus sous-éclairés du film, qui n’ont besoin que d’être esquissées pour circuler puissamment. Jongsu court sur les routes environnantes, se perd en filatures dans une brume bleue, se donne pour mission de mettre fin à un délit peut-être déliré, quitte à se retrouver hagard, à chasser du vent - avec nous à ses côtés.
Burning éveille ainsi un drôle de sentiment, nous laissant jamais trop inquiet, jamais vraiment rassuré, mais complètement désarçonné. C’est toute son oscillation sublime, sa fureur sourde aussi, avec ces signes ostentatoires mais piégeux (des marques de richesses ou d’appartenances, des coups, des regards) et ces milliers de suppositions qui suintent de gestes imprévus (un bâillement de trop, un briquet oublié). On ne sait pas, et on ne saura peut-être jamais (à chacun d’y faire éclore son propre bouquet d’illusions) ce que Ben a précisément en tête, derrière ses airs amicaux, ses menaces souriantes, cette rage que l’on devine, une rage sans tête chercheuse.
Plus la traque s’étire, plus elle se teinte d’un spleen collant, poisseux - et plus Jongsu cherche Haemi, plus il se condamne à en être amoureux. Les regards s’y noient, désespérément à l’affût d’un objet auquel s’agripper, qui ne laisse deviner la possibilité ambiguë d’un double fond. Mais c’est là tout la puissance trouble de Burning, et de la quête à bout de sens à laquelle il livre son protagoniste, que de se faire dans tous les recoins de ses plans l’écrin à la fois d’un refuge ou d’un guet-apens."