Pierre a 35 ans. Il est garagiste et sa passion pour la musique classique le distingue de son entourage. Un jour, lors d’un concert dans une église où l’on donne le Requiem de Fauré, il rencontre une femme de 45 ans, pharmacienne, c’est à dire d’une autre classe sociale, d’un autre "territoire". C’est aussi une femme d’aujourd’hui qui prend ce qui lui plaît quand cela lui plaît. Pierre, qui a l’habitude d’agir comme un coq de banlieue, ne parvient pas à la conquérir. Cette première défaite de séducteur le terrifie. Mais bientôt la passion les rattrape.

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Télérama - Pierre Murat, Claude-Marie Trémois, 04/07/1979: Corps à coeur
POUR
 
Longs travellings dans une église où des mélomanes attentifs écoutent Le Requiem de Fauré. Longs travellings qui partent d’un visage pour aboutir à un autre, commo pour mieux suggôier lo lion qui vient de se nouer, indéfinissable et pourtant indissoluble, entre cette femme qui ne devine rien encore et cet homme qui la contemple, de loin, de dos, et qui chuchote soudain à l’oreille de sa compagne sa confidente, cette phrase qui trahit son émoi et sa capture :
« Je veux tout savoir sur cette femme ».
Et l’on se surprend à redouter, devant cette ouverture en smokings et robes du soir, une histoire d'amour chez les snobs de notre temps, dissimulant le vide de leur existence sous des peines de cœur — et de corps — un peu froides.
Premier contraste : celui du smoking et de la salopette, de la robe longue et de la blouse. Pierrot, le nouveau Nemours, est garagiste et sa princesse de Clèves, baptisée Jeanne, est pharmacienne. C’est justement le pari ironique et tendre de Paul Vecchiali : mêler l’immêlable. Accorder l’inaccordable. Recréer, autour de personnages quotidiens, mais transfigurés et comme poétisés, la tragique comédie du bonheur et de la souffrance d’aimer.
C’est donc d’amour dont Vecchiali nous parle. D’amour fou. Et il fallait donc quo lo film jongle avec le ridicule, se batte avec l’artifice, so mesure avec le grotesque, puisqu’il est écrit, de toute éternité, que les passions d’autrui ne peuvent être perçues par nous autrement que par une incompréhension moqueuse.
Or. justement, Pierrot, le Don Juan de « la ruelle », le Casanova de banlieue, « entre . en passion ». Il chute en « tombant » amoureux.
« Qu‘est-ce que tu as ? », lui demande Emma, l’adolescente éprise comme tant d’autres du beau garagiste.
En fait. Pierrot ne souffre même pas. Il ne peut s’empêcher de pleurer, c’est tout, près de son téléphone. Ou en dormant, emmailloté dans des couvertures. Et il ne peut que faire défiler des bouts do phrase, des gestes, des imagos do cette lemmo. objet d’amour invraisemblable, injustifiable, qui accueille, vaguement maternelle et apparemment indifférente, cet orago maladroit qu’il exprime obstinément et mal.
Et puis, en contrepoint de cette douleur, il y a ce que Vecchiali appelle la « ruelle ». Monde sympathique qui participe aux souffrances de Pierrot, petit chœur antique peuplé de noms aussi bizarres que les personnages qu’ils recouvrent : Platon, l'Aristo, Lina, Pupuce, Sonia, Mimine. Silhouettes qui retrouvent le « réalisme poétique » de toute une tradition du cinéma français, avec la nostalgie de Vecchiali pour ce que sa poésie a justement d’irréel.
Surréei serait peut-être plus juste encore. Sur le réel. Au-dessus de lui.
Peu importe, dès lors, que Nicolas Silberg ne soit pas authentique en garagiste et que le vocabulaire employé par Hélène Surgère (décidément remarquable de film en film) ne soit pas celui que l’on prête à une pharmacienne. Le jeu des comédiens (tous excellents), le plus souvent légèrement décalé, ne correspond pas au vraisemblable de l’opinion commune.
Un accroc : l'entr’acte amoureux dans le Midi proposé par Jeanne qui accepte l’amour de Pierrot au moment où elle apprend que ses jours sont comptés. Malgré son habileté, l’auteur ne peut vaincre le fait tout bête que la passion assouvie captive moins que celle qui se noue ou qui meurt. La tension et l’attention baissent. Le bonheur — c’est atroce, mais c’est ainsi — exigerait que la caméra cesse de le filmer. On voudrait être ailleurs. Heureusement, Vecchiali nous exauce assez vite. Au moment du retour à la ruelle, l’opéra peut reprendre. Un seul mouvement de caméra découvre, puis détaille, les participants réunis lors de cette fête mélancolique, où l’on sent déjà l’ombre de la mort. Mort du quartier destiné à disparaître. Mort de Jeanne qui se prépare, qu’elle prépare... Platon et l'Aristo ont beau bouffonnér, c’est la ritournelle triste chantée par Madeleine Robinson qui nous étreint...
Le rideau se lève une dernière fois sur le final grandiose. L’héroïne fait croire à son amant qu’elle l’a joué, qu'elle n’a jamais été condamnée par la médecine. Peine perdue : le poison a fait son office. Elle meurt...
Là, les ricaneurs peuvent s’on donner à cœur joie. Car, à nouveau, c'est trop. Mais l'émotion naît justement de cette réutilisation des clichés romanesques, de ce sérieux constant, désamorcé par une pirouette.
Et voilà, le beau film est terminé. Jeanne est morte. Le mélo a triomphé, le vrai mélo, celui par lequel Vecchiali retrouve le grand art qui est de faire pleurer et rire.
A cet égard, nulle séquence ne s’impose mieux que celle où Pierrot campe avec voiture et plantes vertes devant la pharmacie de sa bien-aimée. Et rien à faire pour le déloger : ni les menaces ni les quolibets ne semblent avoir prise sur lui. Les passants passent. Les heures aussi. Pierrot, clown triste, finit par s'évanouir d'amour ; dans la pharmacie où, ironiquement, on le transporte aussitôt, Jeanne refuse encore une fois de s'avouer qu’elle a compris la sincérité de sa flamme.
Vecchiali est là, fascinant, entier et ambigu, dans cette dérision subtile, dans cette souffrance pudique cachée sous une grimace presque gaie.
Pierre Murat
 
CONTRE
Avec les amours d’un garagiste et d’une marchande de parapluies, Jacques Demy a enchanté une partie du monde. Grâce à René Clair, nous nous sommes fait, sur le pavé de Paris, quelques amitiés indéfectibles. Et Maurice Dugowson nous a bouleversé en perchant sur un arbre Rufus, l’ouvrier plaqué par sa femme : lui aussi victime de l’amour fou ; lui aussi refusant de descendre tant quelle n'aura pas répondu « oui » à son cri cent fois répété : Lily, aime-moi...
Références accablantes. Ici, tout prête à rire. Avant de partir voir sa belle. Pierrot, nu et nimbé de lumière, se coupe soigneusement les ongles de pied. La pharmacienne se prend pour Edwige Feuillère. La séquence où Pierrot campe sur le trottoir devant la pharmacie, souffre de n’avoir été filmée ni par Dugowson, ni par Michel Vianey et de n’être interprétée ni par Rufus ni par Folon. (Rappelez-vous Folon vivant lui aussi dans sa voiture dans Un Homme comme moi ne devrait jamais mourir). Quant aux habitants de la ruelle, je les ai longtemps pris pour des clochards dont la presence me semblait étrange...
Comment ne pas rire encore en voyant Nicolas Silberg et Hélène Surgère assis, nus, dans de grands fauteuils, devant un feu de cheminée ? La caméra les cadre de dos et ils se donnent la main sur fond de flammes... Une vraie photo publicitaire pour chaumière restaurée. Comment' garder son sérieux en écoutant les dialogues grotesques mis dans la bouche de cette potiche de Nicolas Silberg et de cette fausse grande dame qu’est Hélène Surgère ?
Le comble est atteint dans i'avant-dernière séquence, entièrement démarquée de L'Aigle à deux têtes. Même subterfuge, même retournement de situation (1 ). Mais les deux monstres sacrés, Feuillère-Marais sont remplacés par deux ringards et l’on regarde, atterré, partagé entre la désolation et l'hilarité, la reine des pharmaciennes mourir dans les bras du garagiste amoureux. Vecchiali ne résiste même pas à la tentation de filmer la fenêtre dont les rideaux s’agitent, évoquant de manière risible la fameuse fenêtre de la pièce de Jean Cocteau, d’où la reine, s’accrochant aux rideaux, se montre à ses troupes. On dirait un A la manière de de Paul Reboux.
Seule, la grande Madeleine Robinson sauve ce qu'elle peut de ce roman de gare. Il suffit qu’elle paraisse et soudain — enfin — quelque chose se passe sur l’écran. Malheureusement, elle n’est pas souvent là ! On doit deux autres moments justes et vrais à Daniele Gain et Christine Murillo.
Claude-Marie Trémois
(1) A cela près que dans la pièce de Cocleau la reine ne s’empoîsonne pas mais compte sur Stanislas pour la tuer en lui faisant croire — comme notre pharmacienne à Pierrot — qu’elle ne l'a jamais aimé.

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vos avis (1)

SUZANNE06 février 2023
Magnifique