Là où Deneuve (et Bercot, bien sûr) est grande, c’est qu’elle parvient dans son jeu quasi silencieux à exprimer une grande variété de sentiments, qui vont de la légère irritation à la patience en passant par l’indulgence, le tout petit dégoût (sans plus) et la reconnaissance, avec une simplicité infinie, sans effets, sans sentimentalisme. Pour ces quelques minutes et ces presque deux heures de bonheur qui laissent toujours entrevoir une once d’espoir dans un arrangement avec les vicissitudes de la vie (vive la comédie !), pour tout ce temps passé avec une grande actrice au sommet de son art, merci à Emmanuelle Bercot.

La première heure d’Elle s’en va est un mélange détonant de cocasserie et de sensibilité. Les personnages fuient sans cesse ; un hasard malin semble les séparer aussi vite qu’il les avait fait se rencontrer. À la fois subtil et abrupt, le montage ­accentue cette fébrilité, cette sensation d’amarres rompues.
Le scénario patine un peu par moments, mais la réalisatrice réussit joliment le passage de l’inquiétude à l’harmonie. Dans une maison où les rumeurs du monde perdent de leur importance, elle réunit ses héros épars et éparpillés. Dans un après-midi finissant, la mère de Bettie entonne une rengaine du temps passé, que chantaient les prostituées en goguette du Plaisir, de Max Ophuls. Soudain, dans cette quiétude fugace, l’improbable devient possible. Et puis il y a Deneuve, qui pleure de chagrin au volant de sa voiture. Qui hurle de rire en écoutant un jeune dragueur la draguer. Qui, entre rires et larmes, sirote une bière en racontant au veilleur de nuit d’un entrepôt de meubles la triste fin de son mari. Elle étincelle.

Catherine Deneuve s’est lancée dans le film avec enthousiasme malgré des conditions pas vraiment confortables. 65 décors et un tournage sans répétition. «J’aime être dans l’instant, explique la réalisatrice. Si la scène prend un autre chemin que le texte qui est écrit, ça m’est égal.» Au milieu de miss vieillissantes ou dans le lit d’un inconnu plus jeune qu’elle qui évoque son âge avec une surprenante crudité, la grande Catherine vibre d’un naturel éblouissant devant la caméra d’une réalisatrice sous son charme.
En voyant cette femme d'aujourd'hui, tour à tour épuisée ou rayonnante, désespérée ou souriante, on oublie totalement Catherine Deneuve pour ne plus s’attacher qu’à son personnage. Avec ce portrait en eaux-fortes, Emmanuelle Bercot et son actrice nous offrent une merveille de film.