Lion d'Or du meilleur film au Festival de Venise 2011, à l'unanimité. L'auteur du "Soleil" et "L'Arche russe" réinterprète radicalement l'un des plus grands mythes de l'histoire de la littérature. Faust est un penseur, un rebelle et un pionnier, mais aussi un homme anonyme fait de chair et de sang conduit par la luxure, la cupidité et les impulsions. Une grande oeuvre, complexe et splendide.
Premier rôle : Johannes Zeiler
Premier rôle : Anton Adansinskiy
Premier rôle : Hanna Schygulla
Premier rôle : Isolda Dychauk
Premier rôle : Georg Friedrich
Second rôle : Florian Brückner
Second rôle : Antje Lewald
Second rôle : Sigurdur Skulasson
Réalisation : Alexandre Sokourov
Scénario : Alexandre Sokourov
Scénario : Marina Koreneva
Producteur : Andrey Sigle
Directeur de la photo : Bruno Delbonnel
Montage : Jörg Hauschild
Musique originale : Andrey Sigle
Costumes : Lidia Krukova
Auteur de l'oeuvre originale : Johann Wolfgang Goethe
- Date de sortie en salles : 20 juin 2012
- Type de film : Long métrage
- Couleur : Couleur
- Langue : Allemand
- Date de production : 2011
- Pays de production : Russie
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Critiques (3)
- Télérama - Samuel Douhaire: Faust"... Pendant plus de deux heures, la mise en scène fusionne le trivial et le sublime, le scabreux et l'élégiaque. Comme chez Goethe, le héros, savant insatisfait, vend son âme au diable pour goûter aux plaisirs terrestres et être aimé de la pure Marguerite. Mais, idée géniale de Sokourov, Méphisto n'a plus ni cornes ni cape maléfique : il s'est métamorphosé en usurier difforme, à la peau boursouflée, que l'étonnant Anton Andansinskiy (clown célèbre en Russie) tire vers le grotesque.
Le film est un flot continu de paroles — débats métaphysiques ou propos de corps de garde — que Sokourov filme dans des décors sensuels (le lavoir aussi moite qu'un hammam), violents (la taverne), fantastiques (l'antre surchargé de Méphisto). On devine l'influence de Rembrandt, dans les intérieurs en clair-obscur, et d'Altdorfer, dans la somptueuse séquence de la forêt où les arbres semblent étouffer les personnages. Les plans sont composés comme des tableaux en mouvement permanent, avec la fameuse « patte » du cinéaste russe : ces anamorphoses (plus discrètes, ici), ces filtres mordorés ou vert-de-gris, ce léger flou qui donnent aux images une matière vaporeuse.
Ce cinéma, à la fois spirituel et très physique, trouve sa pleine puissance dans la scène finale, tournée en Islande au milieu des geysers en éruption et des murs de lave pétrifiée. C'est là que Faust tente de s'affranchir de Méphisto, là aussi que Sokourov se démarque de Goethe pour boucler sa tétralogie sur le pouvoir. Dans Moloch, Taurus puis Le Soleil, Hitler, Lénine et l'empereur Hirohito s'estimaient d'essence divine et se découvraient simples mortels. Dans Faust, c'est l'inverse : un individu ordinaire croit devenir Dieu et prétend apporter le bonheur à l'humanité. Mais l'aveuglement de son discours est révélé par l'image : cet homme neuf qui marche triomphalement vers les montagnes d'une blancheur immaculée n'est qu'un futur tyran. Le nouvel archange du mal prêt à dominer le monde... ".
- Le Monde - Jean-François Rauger: Faust" Sans doute faut-il voir le nouveau chef-d'oeuvre d'Alexandre Sokourov (Lion d'or du dernier Festival de Venise) comme le moyen qu'aurait trouvé le cinéaste de penser synthétiquement, en un film, tout le XXe siècle.
C'est peut-être l'explication qu'il faudrait donner à l'affirmation, par le réalisateur, que son Faust serait le dernier volet d'une tétralogie composée de Moloch (1999), Taurus (2000) et Le Soleil (2004). Trois titres qui furent trois manières de décrire, en les démythifiant, des hommes ayant incarné les formes totalitaires que prit parfois le pouvoir politique dans la première moitié du XXe siècle : Hitler, Lénine et Staline, l'empereur Hiro-Hito (...)
Le film débute par l'autopsie d'un cadavre dans ce que l'on devine être le laboratoire du docteur Faust (...) Car le Faust de Sokourov est moins un homme qui explore le monde en toute conscience qu'un être qui semble entraîné par le mouvement même des choses. Sujet ou objet, homme de savoir ou fétu de paille emporté par les remous de foule, guidé par un vieil usurier difforme qui n'est autre que le diable, tel est le destin du héros du film. Dans un XIXe siècle artificiel, verdâtre et boueux, nappé par la lumière brumeuse du chef opérateur Bruno Delbonnel (qui travailla, antériorité étonnante, sur Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet), la dérive du savant prend consistance au coeur d'un univers reconstruit par une certaine histoire de la peinture, notamment allemande, celle de la Renaissance, mais aussi celle qui fut à la source de l'art romantique.
Les plans retrouvent également le chaos métaphysique et grotesque d'un Jérôme Bosch. L'image est parfois déformée, anamorphosée, les corps sont tordus par l'usage de certains objectifs. L'espace et la silhouette humaine sont modelés par un principe esthétique totalitaire, figuration plastique de la coercition réelle et mentale à laquelle Faust tente, en vain peut-être, d'échapper.
C'est dans la dernière partie de l'oeuvre que le tentateur parvient à soutirer l'âme du savant contre l'apparition de sa Marguerite (...) L'idée même de faire contenir toute la faiblesse humaine dans un élan concupiscent se transforme ici en questionnement métaphysique et politique. Fidèle à une tradition philosophique qui serait à la fois pessimiste et vitaliste, Sokourov ne semble voir dans l'homme qu'un être imparfait, bridé par de triviaux appétits, victime d'irrépressibles pulsions, dont la faiblesse serait la cause, tout autant que la proie, de la tyrannie. C'est aussi peut-être l'affirmation que la volonté de créer un homme nouveau, cruelle utopie qui traversa, il y a un siècle, l'histoire de l'Europe, est une illusion. Et c'est dans les dernières minutes du film, au moment où l'explosion d'un geyser, devant lequel Faust a traîné le diable, déclenche le rire du savant, que cette interrogation devient miraculeusement concrète." - Les Inrockuptibles - Jacky Goldberg: Faust"Il est des films qui semblent avoir été conçus pour permettre à un plan, un seul plan miraculeux, d’exister (...) Dans Faust (...) ce plan arrive aux trois-quarts et, soudain, illumine tout le reste, littéralement. Ce n’est ni révéler un secret, ni gâcher le plaisir de sa découverte que de le décrire, succinctement : il s’agit d’un visage, tout rond et tout blond, appartenant à la jeune Marguerite, dont le docteur Faust s’est épris la première fois qu’il l’aperçut se baignant au milieu de ses fades congénères ; incarnation de la grâce et de l’Amour – le “Liebe” écrit en lettres géantes par lequel Murnau terminait sa célèbre adaptation du mythe en 1926 –, ce visage irradiant au point d’en déformer les rayons de lumière ressemble à s’y méprendre à une icône orthodoxe.
L’étrange format carré de l’image choisi par Sokourov, l’étincelante dorure qui contraste avec les autres choix chromatiques (dominante de marrons, de verts et de bleus, avec une furie de nuances qui donne le tournis) et l’anamorphose qui l’accompagne (l’effet de signature du maître russe depuis Mère et fils) accentuent le phénomène : ce que Faust a devant ses yeux ébahis, c’est bel et bien une manifestation de Dieu, ce Dieu auquel plus personne ne semble croire dans le village damné qui sert de décor unique au film.
Le docteur en est interdit, mais il est déjà trop tard, il a commis l’irréparable (...) : c’est simplement sublime.
Parce que, comme tous les grands artistes, le disciple de Tarkovski est capable de dépasser les contingences idéologiques et les chamailleries théologiques pour atteindre une sorte de Walhalla du cinéma, une zone où les yeux les plus usés trouvent à se ressourcer, où les esprits les plus chagrins parviennent à se réchauffer. Mais avant cela, il faut mener bataille : sur terre, sous terre, dans la chair.
Après un court prologue dans le ciel, donc, la caméra – une 35 mm poussée dans ses ultimes retranchements grâce à un étalonnage numérique – nous entraîne dans les entrailles d’un homme autopsié par le docteur Faust. Ça pue, c’est laid, c’est misérable : bienvenue dans le monde des hommes.
Heureusement, notre hôte n’est pas du genre à se contenter de ces pauvres constats qui font de nos jours florès dans les festivals internationaux.
Aussi, tout l’enjeu pour Sokourov est de dénicher dès qu’il le peut la beauté, de trouver la lumière au milieu des ombres (...) C’est simple, de Bosch à Bruegel, de Vermeer à Rembrandt, du Greco à Giotto, c’est comme si toutes les toiles de L’Arche russe s’étaient enfuies du musée de l’Ermitage pour reprendre leur place dans la nature. Et nous, spectateurs, sommes là, dans ce musée à ciel ouvert, à ne plus savoir où donner de la tête. C’en est presque indécent. En tout cas épuisant. Mais formidablement jouissif lorsqu’on retrouve la lumière du jour : l’œil apparaît soudain lavé, prêt à affronter la violence du monde..."
vos avis (2)
- Daniel25 octobre 2023
- Pascal24 juin 2018Pur chef d’œuvre !