"Aujourd’hui, le cinéma glorifie la violence, et je ne veux pas participer à ça... Le Havre est un de mes films les plus lumineux [...] Rien à voir avec la réalité, mais qui peut m’empêcher de rêver ?" Pour conter l’histoire de Marcel, cireur de chaussures qui recueille un enfant noir échappé d’un conteneur et, à travers elle, alerter sur le "crime contre l’humanité" de l’immigration clandestine en Europe, Aki Kaurismäki invente un monde enchanté, surgi d’un passé imaginaire au parfum des années 1950, celles de son enfance. Une fable anachronique et néanmoins réaliste, qui s’inspire des événements de Sangatte et renvoie à la cruelle réalité des naufrages de bateaux de clandestins en Méditerranée. Depuis son premier film en 1983, adaptation de Crime et châtiment de Dostoïevski, le réalisateur finlandais, admirateur d’Ozu et de Bresson, affiche une empathie croissante pour les déshérités et les marginaux, à travers un univers tout à la fois mélancolique, fantasque et empreint d’humour noir. Consacré avec L’homme sans passé en 2002, l’ancien rat de la Cinémathèque d’Helsinki, adepte des décors épurés, des plans fixes et d’un jeu minimal des acteurs, aime filmer des lieux condamnés, comme ici ce quartier populaire du Havre, voué à la disparition après le tournage. En chef de bande taiseux, il excelle aussi à rassembler autour de lui une communauté, techniciens et acteurs fétiches, dont André Wilms et Kati Outinen. Et c’est en leur charmante compagnie, guidés par leurs commentaires éclairants, que nous plongeons dans les arcanes du Havre, manifeste moins candide qu’il n’y paraît d’un cinéaste aussi bougon qu’irrésistible.

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