" La qualité primordiale de ce premier film du jeune (29 ans) Jan Bonny consiste justement à déjouer pas à pas tout ce qu'on pouvait en attendre.
S'ouvrant sur une ronde de nuit dans les faubourgs d'une ville allemande non identifiée, le ton semble être celui d'une chronique policière (...) Tableaux de la petite bourgeoisie allemande dans une ville moyenne, extraits de la vie de bureau, au poste de police ou à l'école maternelle où Anne est institutrice, mise en situation des enfants du couple, une fille et un garçon, étudiants gentiment rebelles (...), scène obligée du repas de famille où suintent, mais pas trop, les habituelles mortifications (...) : la torpeur des habitudes, les ankyloses de l'ordinaire.
Mais toujours le malaise rôde, comme un invité surprise qui finit par mettre le pied dans la porte la première fois qu'Anne, excédée par une broutille, se déchaîne sur son mari. C'est une claque, qu'on n'a pas vue venir tant elle est habilement mise en scène comme un avatar de la banalité, une manière extravagante mais pas si extraordinaire de faire le ménage, de donner un coup de torchon. Pour qualifier ce type de comportement, on parle bien de violence domestique.
Reste que le choc visuel tient à l'inversion des rôles : la femme cogne et l'homme encaisse. C'est presque comique. Ne serait-ce que parce qu'il y a toute une iconographie populaire qui, sur un mode drolatique, met en scène le rouleau à pâtisserie de la mégère et le mari qui file doux.
Mentalement surgissent cependant des questions plus graves sur les motifs de cette femme et les raisons de cet homme. La dialectique du bourreau et de l'esclave n'est heureusement pas au programme. L'hypothèse d'un contrat SM rôde puisqu'après leurs séances particulières, la femme, après coups, guigne des cajoleries.
Tourments. Mais quel que soit l'apaisement de ces explications, elles ne sont jamais suffisantes, d'autant que le film instille d'autres tourments nettement plus énigmatiques, éventuellement familiers et surtout irrésolus. Comme le suggère le titre original (Gegenüber, «Vis-à-vis»), le personnage principal, c'est le couple, «entité à redondances vides» comme l'écrivit le spécialiste August Strindberg. De fait, les espérances de retrouvailles se perdent bien vite dans les rouages des figures imposées (belle scène de fiesta à la maison, où les copains de Georg exagèrent Anne dans le rôle de la parfaite maîtresse de maison). Et que dire du classique «Ciel, mon mari !», décoiffé par l'attitude du mari marri qui assiste au coït de son épouse avec un collègue, bien assis dans un fauteuil du salon, comme au cinéma ma foi ?
Le plan est très graphique où l'on observe Anne et Georg lovés «l'un contre l'autre» : en position gémellaire, endormis, apaisés peut-être ? Donnant en tout cas corps à la récurrente et apparemment contradictoire revendication des personnages : à la fois disparaître et attirer l'attention."