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Feydeau contemporain, prototype parano-narcissique avancé qui nous rappelle les meilleures heures d’un
Woody Allen saupoudré d’une pincée d’
Antonin Peretjatko, Klipper ne se laisse pourtant pas trop régenter par les influences qu’il semble affectionner d’une proximité ondulante. Plusieurs personnages vont tour à tour débarquer, façon scène de théâtre, dans le nid de Bruno pour s’y éterniser : la famille juive, le proche ami, l’ancienne copine… Et puis une inconnue, incarnée par une magistrale Camille Chamoux qui travaille ses plus belles répliques avec une voix placide et ironique. Celle-ci, que Bruno pressent comme étant l’opération séduction tradi orchestrée par ses parents désespérés, est en vérité psychiatre, présente pour une hospitalisation à la demande d’un tiers.
Tourbillon de panique, en une heure et des poussières de fête, nous voilà pris en otage des pérégrinations en roue libre d’un raté autoséquestré dans son terrier qui va tenter de prouver qu’il n’est pas fou mais juste animé par l’inspiration (une sombre histoire de tique qui nous colle à la peau tel un coup de foudre). A suivre son fou, Klipper se déplace avec une habilité savante, entre les fenêtres et les portes traversées, escaliers parcourus, descendus, onglets de pages web ouverts pour draguer et extraits de films visionnés pour rêver (on y perçoit un baiser échangé entre
Depardieu et
Marceau dans
Police de
Maurice Pialat). Le trou à rat semble alors infiniment plus grand, comme si le cinéste arrivait à démontrer qu’aux côtés de Bruno, les envolées de l’esprit et les élans du cœur pouvaient prendre, en cherchant bien, une place bien plus majeure ainsi assignés à résidence.
«Il faut que je parte au Brésil», s’excite Bruno.
«Faudrait déjà que tu quittes le XXe», lui répond-on. L’imagination de cet homme s’élève jusqu’à nous envoyer valser dans des séquences plus oniriques. Rêve ou réalité ? Les lumières boule à facettes éclairent la psy, espiègle derrière son éventail. Le joyeux burn-out menace nos esprits-passoires, entre rires incontrôlables et dépressurisation collective.
« C’est un instant magique.» Le tout s’enveloppe d’un aura de lâcher-prise où les plus calmes passent du côté des plus fous, et les plus dingos se distinguent en rêveurs qui réussissent constamment à repousser les murs. Bruno est tout de même rappelé à la réalité :
«Vous courez tout nu, seul dans la cage d’escalier ?»
Singulière, surprenante, de bon ton, cette comédie française arrive à point nommé pour marquer son territoire. Elle se démarque, sans grande prétention ni dérision déplacée, à travers une histoire qui grossit, grossit, grossit - de l’anémie jusqu’au débordement épanoui. Et la comédie noire finit bien, ou presque. Dans la nuit, deux âmes se retrouvent. On ne sait plus très bien qui perd les pédales ou si tout cela est vrai - et après tout on s’en fout, car les deux s’embrassent déjà, finalement sains et saufs d’esprit."