" Qu’un homme seul, un rêveur, se dresse contre la société, c’est-à-dire contre une bêtise codifiée et dominatrice, et tout brusquement se disloque et se rompe, banquise qui se brise, morale fondante, et qui libère l’homme de sa gangue, affolement général de tout un peuple qui découvre sa liberté, et ne sait comment la saisir.
C’est ainsi qu’il faut prendre Les Compagnons de la Marguerite où la vénérable institution du mariage est mise en péril par un faussaire de génie qui va de mairie en mairie faire mentir l’état civil, mariant celui-ci et celle-là, « démariant » celle-là de celui-ci, et privant ainsi l’Etat de son droit de regard sur le bonheur de ses esclaves.
Et voici les femmes; toujours si tristes, si soumises, si lointaines chez Mocky, qui se remettent à vivre. Et voici l’ordre naturel retrouvé. Il suffisait d’un petit anarchiste, qui a le regard bleu de Claude Rich, il suffisait de croire en sa liberté. Jean-Pierre Mocky y croit."
 

" Ce film nous rappelle qu'il existe dans le cinéma français un type inégal, nommé Jean-Pierre Mocky, et que nous avions oublié depuis Les Dragueurs ; mais il nous fait soudain prendre conscience aussi d'autre chose, devant notre plaisir. Est-ce que le cinéma français traditionnel ne connaîtrait pas une seconde jeunesse ?
Quand on voit les grands films français, ces derniers temps, de La Guerre est finie à La Curée, du Deuxième souffle au Voleur, c'est bien le classicisme, la « qualité française » qui triomphe. Le film de Mocky n'est pas au niveau de ces derniers ; mais il empreint, à un degré extrême, de cette atmosphère « française », il est joué par ces acteurs français qu'on croyait insupportables, et qui soudain convainquent, font rire, Francis Blanche, Claude Rich, oui, mais aussi Tissier, Roquevert, Pérès... Et si Le Voleur de Louis Mall semble assurer la succession d'Autant-Lara, Les Compagnons de la Marguerite, dans leur anarchisme farfelu, laissent espérer un revival de l'esprit des scénarios prévertiens d'avant-guerre. "

" Exagération des situations, laideur des personnages ou mauvais goût des détails sont à chaque nouveau film injustement et régulièrement reprochés à Jean-Pierre Mocky, dont les neufs films réalisés depuis dix ans constituent en réalité une œuvre cohérente et forte comme il en existe peu dans le cinéma français. Mais Descartes, Voltaire et Marivaux définissant toujours assez bien l'esprit national, la verve satirique puissante de Mocky se heurte donc constamment aux moues précieuses et jeux de mots raffinés d'un public qui boude aussi bien Berlanga (et avant lui Goya) que Ferreri (ou le Machiavel de La Mandragore), si bien que l'auteur réussit le prodige peu enviable de faire des « fours » commerciaux avec Bourvil (La Grande frousse) ou Fernandel (La Bourse et la vie).
Certes, il ne faudrait pas tresser à Mocky la couronne d'un « auteur maudit » car il a quand même à son actif plusieurs succès publics (Les Vierges, Un drôle de paroissien) et critiques (Snobs Les compagnons de la marguerite), mais il est indiscutable que ce réalisateur n'a jamais été « à la mode », suscitant peu d'études des revues spécialisées et ne voyant jamais ses films figurer dans les festivals internationaux. En marge des mouvements qui font et défont le cinéma tous les deux ans, il poursuit l'élaboration d'une œuvre étonnante, originale et intemporelle, parfois irritante sur le moment, mais toujours séduisante à la réflexion. "

" Au premier plan, il conte l’histoire vaudevillesque et anarchiste de couples qui s’échangent grâce à un habile faus­saire, dont la principale occupation consiste à chambouler les registres d’état civil. Mais dans la belle mécanique, pullulent des personnages singuliers, irrationnels, sans rapport avec le « réalisme populaire » de Chaplin, et parfaitement issus de notre époque.
Mocky est un logicien de l’absurde. Il baptise un personnage «Leloup». Pourquoi ne pas le prendre au mot, le faire se comporter en loup ? Donc, Francis Blanche gémit et hurle dès qu’on le contrarie. Cet univers en folie, où les flics crient « maman ! » dès que leur vélomoteur roule trop vite, est conçu par un homme plus près de la génération Copi que de la génération Chaplin. Comme Copi, il est d’ailleurs capable de trouver chaque jour vingt idées admirablement stupides.
Les cinéastes, gens sérieux, n’aiment pas les idées stupides. Aussi bien les admirateurs de Mocky ne se rencontrent guère dans le septième art. Ce sont plutôt des inconnus, des sans-grade qui, pour l’état civil, portent les noms obscurs de Marcel Aymé, Raymond Queneau, Eugène Ionesco, etc."

" L'argument, on le voit, n’est pas très moral. Mais comment le prendre au sérieux ? Il est prétexte à divertissement et non à fable philosophique. Et il faut reconnaître qu’il divertit souvent. Du moins quand le réalisateur et Francis Blanche ne cèdent pas à un penchant certain pour la vulgarité.
Les situations s’enclenchent, se compliquent, se débrouillent — pour mieux s’embrouiller à nouveau — selon les traditions d’un vaudeville bien huilé. C'est drôle, très drôle parfois — et fort bien joué par R.-J. Chauffard, Michel Serrault (méconnaissable), Laurence Darcy (la femme de Claude Rich dans le film comme dans- la vie) et surtout Claude Rich.
Gommant les vulgarités, évitant tous les écueils, Claude Rich est merveilleux de drôlerie et de poésie, d’aisance et de naturel, de simplicité et d'efficacité.
On ne peut s’empêcher de rêver à un Arsène Lupin qui aurait son visage mobile, sa silhouette de funambule, son élégance, son humour et la petite flamme d’idéal qui brûle dans l’œil bleu de Matouzec. "