"A la fois ambitieux, maîtrisé et original, le
Mishima de Paul Schrader tranche sur un cinéma mondial devenu timoré, d'autant qu’il s’agit d'une production importante. (...) Schrader ne se contente pas de raconter une vie linéairement. Il adopte un parti pris de récits fragmentés d'une grande audace structurelle et qu'il tient jusqu’au bout malgré les risques de confusion.
L'axe de la narration, formée de quatre parties, est l'évocation du dernier jour de la vie de Mishima, ce 25 novembre 1970, où, après avoir pris en otage un général, il harangua les militaires d'un régiment d’infanterie avant de commettre le
seppuku (ce que nous appelons
hara-kiri). Se greffent sur ce récit des souvenirs de sa vie et des extraits mis en scène de ses romans qui éclairent dans leur fantasmatique la personnalité de l’écrivain. La chronique du dernier jour est traitée dans un style réaliste, les flash-back en noir et blanc adoptent l’esthétique du cinéma japonais classique à la Maruse, les morceaux de fiction se voient traités par la grande décoratrice et graphiste Eiko Ishioka dans un registre stylisé qui se rapproche pourtant de plus en plus de la réalité. Elle part des tons dorés propres au paravent nippon dans le
Pavillon d’or pour arriver au seppuku dans la neige de
Chevaux échappés, en passant par les couleurs vulgaires et pop de la
Maison de Kyoto.
Ces trois fils conducteurs convergent dans la partie finale,
l'Harmonie de la plume et du sabre, où Mishima atteint l'extase finale, l’union du mot et de l'action ne pouvant s’accomplir que dans la mort, une mort mise en seine comme une oeuvre d’art, puisque l'esthétique est la seule réponse à la vie. Il rejoint alors les héros de ses fictions, le moine du
Pavillon d'or épris de beauté qui, exaspéré par la perfection du temple, y mit le feu : l'acteur narcissique de la
Maison de Kyoto qui subit les sévices de sa maîtresse avant de mourir avec elle ; le terroriste d'extrême droite de
Chevaux échappés qui, après des assassinats politiques, se suicide devant le soleil levant. Ainsi, tour à tour, trois parties consacrées à la beauté, à l'art et à l’action explorent la personnalité complexe de Mishima pour éclairer son geste final.
On reprochera peut-être à ce film, d’une intelligence et d’une clarté remarquables, son approche froide et distancée. C'était le seul moyen pourtant de ne pas tomber dans les risques d'une exaltation douteuse. Schrader ne juge pas. Il analyse, tout en laissant sourdre une émotion certes toujours contenue, l'enfance d’un chef, son adolescence et la découverte de l'homosexualité, l’âge mûr et l’engagement politique. Le nationalisme de Mishima, qu'un Occidental qualifierait de "fascinant", est fondé sur le désir d'une perfection impossible et une pulsion de mort irrésistible face à la décrépitude du corps. (...)
Schrader, puritain du Middle West, comprend, n’en doutons pas, son héros de l’intérieur. Ses films précédents (
Hardcore, American Gigolo ou
la Féline) parlaient de sexe et de mort. Et plus encore ses scénarios pour Scorsese,
Taxi Driver et
Raging Bull, le premier surtout, où Robert De Niro voulait se purifier par la destruction. On pouvait craindre qu'avec
Mishima Schrader ne se livre à une débauche de violence, tant le sujet s’y prêtait. Au contraire, chaque partie s'arrête au moment du geste décisif, dans un même refus du spectaculaire. Comme
Colonel Redl, d’Istvan Szabo,
Mishima nous offre un portrait psycho-social d’une grande complexité. (...) Et ce n’est pas le moindre mérite de Schrader, connaisseur du Japon depuis longtemps, d’avoir su cerner avec humilité et ferveur un univers culturel éloigné du sien."