"En donnant corps à l’écran à ses souvenirs,
Honoré, que l’on a connu plus impudique, plus cavalier également, à ses débuts, convoque sa jeunesse, avec gravité et le désir de restaurer le souvenir de ceux qui ne sont plus, et que la société s’est empressée d’oublier.
Son courage, son audace, ce n’est pas d’avoir réalisé un pensum politique et frontal, comme celui de
Robin Campillo,
120 battements par minutes, œuvre complémentaire, mais à laquelle
Plaire, aimer, et courir vite s’offre comme une alternative, plus littéraire, plus intime, et peut-être même plus personnelle de la part d’Honoré qui se soustrait du collectif, et évite même, malgré le grand nombre de personnages, les lacs des insipides films choraux. Pourtant, si elle est éloignée de ce collectif, la représentation de l’homme des années 90 par
Honoré, est universelle dans sa rage d’aimer, d’aller vers l’autre, d’exprimer les besoins d’un corps qui appelle à la séduction, tout en étant conscient de frôler l’autodestruction. La maladie est indissociable de chaque rencontre, non dans le malaise qu’elle pourrait susciter, mais dans les limites de temps qu’elle impose pour pouvoir démarrer une belle aventure, et surtout dans les questions existentielles qu’elle suscite chez des personnages qui, en ce temps, ne pouvaient ni se marier, ni même se pacser, et qui commençaient à peine à sortir du placard. Le rapport compliqué à la famille, la solitude du malade face à sa propre mort, sont à l’écran, de façon implicite, autant de cailloux sur un chemin de croix inéluctable.Honoré, survivant, réalisateur et dialoguiste épatant, devient historien de sa propre existence et de son époque ; il livre avec
Plaire, aimer et courir vite le sommet de son cinéma. Rarement une œuvre aura-t-elle capté dans l’intimité l’essence d’une décennie, sans chercher à combler la vérité du moment par des pléonasmes dans sa reconstitution. Quelques sons oubliés viennent renforcer les plaisirs. Le délice de ré-entendre Prefab Sprout, groupe indépendant peu connu mais culte en son temps, ou l’incongruité géniale d’insérer Pijon
Cache Cache Party, lors d’une scène d’hôpital émouvante, dans un film présenté à Cannes, sont à la mesure du plaisir douloureux mais nécessaire que génère cette épopée bouleversante qui ferme magnifiquement une page d’histoire. Si l’on finit cette courte incursion dans cette œuvre intarissable de talents, par évoquer la beauté visuelle de la photographie, la maestria des plans touchés par la grâce, et une mise en scène au diapason, il ne fait aucun doute que
Plaire, aimer et courir vite est d’ores et déjà l’un des sommets du cinéma hexagonal de l’année 2018, forcément l’un des plus délicieux car inattendu. Un pur bijou du 7e Art qui, s’il échappe au palmarès cannois se retrouvera sans aucun doute bien placé dans la course aux César."